La maison se tenait là, devant lui, le
dominant de toute son imposante stature, comme un gardien silencieux,
endormi comme tous les gens normaux à cette heure avancée de la
nuit. Les volets clos, le lierre qui avait envahi la quasi-totalité
de la façade, formant comme un camouflage naturel sous lequel
l’immense bâtisse se dissimulait, attendant que quelqu’un la
réveille…
L’herbe était si haute désormais que les
jardins ressemblaient à des champs en friches, à des jungles
dangereuses, dans lesquelles çà et là on pouvait trouver de vieux
objets, abandonnés par les anciens occupants ; on pouvait à
peine entrevoir la balançoire, contre laquelle reposait encore un
vélo abimé, rongé par la rouille.
5 ans. 5 longues années. C’était le temps
qui s’était écoulé depuis sa dernière visite, et pourtant, si
la nature avait repris des droits qu’elle ne possédait qu’à
moitié, rien n’avait vraiment changé, ses souvenirs le guidait
comme de très anciens réflexes qu’il retrouvait progressivement
au contact de ce lieu si familier.
Theo crocheta la serrure de la lourde porte
d’entrée infestée de toiles d’araignée, une meute de cloporte
l’observa sans bouger, cachée dans les fissures de la pierre. Ses
pas résonnèrent dans le vaste salon poussiéreux, se répercutant
en écho semblables à la voix de quelques spectres émergeant de
l’obscurité. Il avançait pas à pas, un pied devant l’autre,
lentement, prudemment, non par peur mais mû par l’appréhension,
par l’excitation, celle qui vous anime lorsque vous vous apprêtez
à retrouver un proche perdu de vue pendant trop longtemps.
Tout était resté tel quel, dans la même
disposition qu’avant l’incident. Les meubles, les canapés,
n’avaient pas été recouverts et avait adopté la teinte grisâtre
de la poussière accumulée durant tant d’années d’absences,
comme les cendres d’un Pompéi domestique ; par endroits, on
pouvait y voir les traces du passage d’oiseaux qui étaient
parvenus à s’infiltrer à l’intérieur par la cheminée et qui
avait élu domicile temporairement dans la maison. C’était les
seuls êtres vivants à avoir pénétré ici en l’absence
permanente des propriétaires, les animaux se fichent de savoir ce
qui arrive aux êtres humains, nos affaires ne les intéressent pas.
Les assiettes du dernier repas étaient restées
sur la table, les restes avaient moisis jusqu’à devenir une
matière sombre et compacte, jusqu’à devenir un élément naturel
du décor, une nature morte, une nature macabre. Les objets de
valeurs n’avaient pas été volés, personne n’avait osé mettre
les pieds ici ; on avait entendu des tas de rumeurs concernant
ce lieu, des tas de mensonges concernant la tragédie, des tas de
vérités probablement aussi. Personne n’avait tenté de
s’introduire ici, les passants évitaient si possible la proximité
de l’endroit lorsque la nuit était tombée, même les gens
malhonnête était devenus superstitieux… Lui-même avait été
tenté de revenir, il avait hésité, il s’était retrouvé de
nombreuses fois devant le mur extérieur, puis il s’était ravisé,
les souvenirs étaient trop douloureux, trop difficile à gérer, ils
l’assaillaient comme un essaim, l’enveloppaient et lui faisait
perdre pied, l’obligeant à se raccrocher au présent pour ne pas
sombrer.
Puis il y avait eu l’évènement, cet orage,
le plus violent et le plus impressionnant que le pays ait connu, la
colère et le désespoir du ciel s’était abattu en une soirée,
gonflant les eaux, arrachant les arbres… et c’est alors que tout
a changé. Au début, ce ne fut que de simples rumeurs, des racontars
de bistrots que les soulards ne colportaient qu’après avoir
ingurgité plus de bières que leur organisme ne pouvait en
supporter, des ragots que l’on partageait à voix basse de peur de
passer pour plus fou qu’on ne l’était… puis les langues ont
finies par se délier, d’autres faisaient état de phénomènes
similaire : les morts étaient revenus. Des personnes, sans
relations les unes avec les autres, prétendaient avoir revu leurs
défunts, avoir conversé avec eux, les avoir touchés, le temps
d’une nuit. Les témoignages s’étaient multipliés, même les
sceptiques avaient fini par changer d’avis. Et puis il avait fait
ce rêve, la nuit dernière.
Traversant les pièces de la maison
silencieuse, il se souvint, de la première fois qu’il avait
franchît le porche, de cette sensation confuse qui l’imprégna à
jamais en entrant, ce mélange de paisibilité artificielle, de calme
avant la tempête… Il se souvint d’un habitat chaleureux,
accueillant, d’une famille heureuse, soudée, l’exact contraire
de son quotidien, et pourtant, il eut l’étrange impression que
quelque chose clochait, comme un élément à peine visible sur un
tableau qui gâcherait l’ensemble de la toile, comme un petit
détail insignifiant annonciateur d’un futur sombre mais sur lequel
on ne parvient pas à mettre le doigt. Et il n’avait pu se défaire
de cette désagréable sensation, qu’il éprouvait chaque fois
qu’il venait, sans jamais comprendre d’où elle pouvait provenir.
Parfois, lorsqu’il avait diné en leur compagnie, ils lui avaient
donné l’impression d’être des marionnettes, des comédiens, qui
tentaient de faire bonne figure, qui jouaient une pièce dans
laquelle ils incarnaient une famille parfaite, le père, la mère et
le fils, tous s’aimant d’un amour inconditionnel… le portrait
semblait trop idyllique, trop forcé, mais il avait fini par s’y
habituer.
Et il se retrouvait aujourd’hui, au cœur de
tout, au milieu de ténèbres que tout le monde souhaitait oublier.
Il était le seul éveillé alors que la ville dormait mais il
n’était pas encore certain que tout cela n’était pas un mirage.
Il naviguait en équilibre instable entre le rêve, la réalité et
le cauchemar, ne sachant pas vers lequel des trois la balance
pencherait.
Il s’approchait doucement de la porte menant
à la véranda, presque sur la pointe des pieds, comme pour ne pas
réveiller d’éventuels occupants qui dormiraient à l’étage.
Les souvenirs continuaient à affluer, un
diaporama d’instants passés défilait dans sa mémoire, ceux d’une
journée durant laquelle les rayons du soleil remplaçaient la pâle
clarté de la pleine lune, leur chaleur se diffusant à travers les
parois de cette cage de verre, ils étaient tous deux de l’autre
côté, autour de la piscine, à l’endroit même où il l’attendait
en ce moment.
Voir sa silhouette assise au bord de l’eau,
patientant paisiblement comme s’ils s’étaient vus la veille, fut
comme repasser un film en avance rapide, de leur rencontre simple et
fortuite, qui avait évolué en une amitié de plus en plus solide,
jusqu’ à cette soirée fatidique.
Theo faillit rester tétaniser par son
apparition, son cœur s’arrêta l’espace d’un moment, il resta
immobile pendant des minutes qui lui semblèrent des heures, les yeux
rivés sur ce garçon qui n’avait pas changé depuis son départ,
avec sa dégaine rassurante, sa décontraction qui contrastait
tellement avec son état d’esprit à lui ; il eut envie de
fuir, de rebrousser chemin, d’enterrer le passé une fois pour
toute, mais il savait qu’il n’y parviendrait pas : une
partie de lui était attiré, par l’inconnu, par le danger, par
cette promesse de retrouver cette proximité perdu si brusquement et
par des réponses dont la quête l’avait hanté jusqu’à
aujourd’hui.
Une simple vitre les sépara encore pendant
quelques instants, ses pieds avancèrent sans son accord, il marchait
tel un somnambule, à peine conscient du monde qui l’entourait…
sa concentration restait fixée sur un point précis, sur une
personne, la seule à des kilomètres à la ronde, une ombre légère
et gracile qui se découpait dans la nuit.
Au fur et à mesure qu’il se rapprochait, il
pouvait entendre son cœur marteler sa poitrine, jouer une symphonie
militaire qui rompait le silence de la maison vide, il sentait un
champ magnétique se compresser entre eux deux.
Il posa le bout de ses doigts sur son épaule,
comme pour vérifier s’il était bien réel.
- Louis…
Ce n’était qu’un murmure mais la puissance
de celui-ci fit s’envoler quelques volatiles nocturnes qui épiaient
la scène à travers les peupliers.
- J’étais pas sûr que tu viendrais.
Un sourire avenant et tranquille se dessinait
sur son visage encore juvénile, le temps semblait ne pas avoir eu de
prise sur lui.
Il ressemblait au garçon qu’il avait
rencontré au détour d’un virage il y a des années, il portait ce
vieux t-shirt usé qu’il affectionnait tant, un short maculé de
boue, quelques ecchymoses au cou et sur les poignets…
- Pour être honnête, j’en étais pas sûr
non plus.
Sa voix tremblait, contaminant ses membres et
il tentait de se contenir, de ne pas montrer sa nervosité.
- Je pensais que tu serais parti, que tu aurais
déménagé, comme les autres…
Les jambes de Louis faisaient des va et viens
dans l’eau, créant des petites vaguelettes qui mourraient sur le
rebord l’instant d’après : assis au bord de la piscine,
seulement éclairé par la lumière de la lune, il ressemblait à un
fantôme, ce qu’il était d’une certaine manière.
- Je suis parti, pendant quelques temps, mais
j’ai compris qu’il y avait des choses auxquelles on ne pouvait
pas échapper. Quoi que je fasse, tout me ramène ici.
Des silences plus ou moins longs complétaient
chacune de leurs paroles, les silences propres à deux amis qui
tentent de retrouver un semblant de naturel, un ersatz de normalité.
- Personne n’a repris la maison ?
- Non.
Theo aurait voulu en rajouter, il y avait tant
de questions qu’il voulait lui poser, tant de choses qu’il
voulait lui raconter… mais il se retint, craignant de tout gâcher,
craignant qu’il ne disparaisse encore.
- Après ce qu’il s’est passé, je peux pas
dire que je sois surpris.
Un silence un peu plus long, un peu plus pesant
que les précédents, s’installa, une chape de béton sur un sujet
que personne n’avait envie d’évoquer mais qui finirait tôt ou
tard par être abordé. Louis plongea alors brusquement dans l’eau
calme et stagnante qui reposait devant eux, resta pendant une bonne
minute sous l’eau, avant de remonter bruyamment.
- Allez viens, qu’est-ce que t’attends ?
Theo hésita pendant une nanoseconde avant de
le rejoindre, s’enfonçant dans l’eau un peu plus prudemment. Un
frisson parcourut sa peau et remonta le long de son cou. Ils étaient
souvent venus se réfugier dans la piscine, les après-midi d’été,
y restant même parfois toute la nuit lorsqu’ils avaient la maison
à eux seuls. Louis nageait, plongeait, sautait, savourait une vie
retrouvée tandis que Theo se contentait de le regarder s’amuser,
paralysé par l’étrangeté de la situation, par les réponses
suspendues dans le temps.
Il avait la déconcertante sensation d’être extérieur à ce qui se déroulait sous ses yeux, comme si quelqu’un avait pris possession de son corps, le laissant passif, à observer à travers ses propres yeux… tout lui paraissait si irréel : il craignait qu’en faisant un geste trop brusque, il ne se réveille pour découvrir que tout ça n’était qu’une illusion.
Il avait la déconcertante sensation d’être extérieur à ce qui se déroulait sous ses yeux, comme si quelqu’un avait pris possession de son corps, le laissant passif, à observer à travers ses propres yeux… tout lui paraissait si irréel : il craignait qu’en faisant un geste trop brusque, il ne se réveille pour découvrir que tout ça n’était qu’une illusion.
- T’as pas changé, toujours aussi sage…
allez, remue toi, je peux pas m’amuser tout seul !
C’est alors que la question s’échappa de
la gorge qui la retenait prisonnière. Theo tenta de la retenir mais
elle glissa entre ses doigts.
- Qu’est ce qui s’est passé cette nuit-là ?
La nuit où t’es parti ?
Louis se figea l’espace d’un instant puis
repris son manège aquatique.
- C’est donc ça qui te tracasse depuis tout à
l’heure. Je pensais qu’on pourrait éviter les sujets qui
fâchent. Tu te rappelles ce que je dis toujours : ne poses
pas de questions dont tu n’aimeras pas les réponses…
- Ça fait 5 ans que je pose la même question
dans le vide. Il ne se passe pas un seul jour sans que je remémore
chaque putain de secondes de cette nuit, les sirènes de polices et
des ambulances au beau milieu de la nuit, tous les voisins attroupés
devant chez toi, tes parents morts, toi disparu et principal
suspect… tous les jours je ressasse tous les détails dans ma
tête, en essayant de me persuader qu’il y a une autre
explication, que ça peut pas être vrai, que t’as pas pu faire
ça. Dis-moi qu’ils ont tort ! Dis-moi que tout le monde se
trompe !
Ce n’était plus vraiment lui qui
s’exprimait, le passé remontait le long de son œsophage pour se
déverser à travers sa bouche.
- Je ne sais pas ce qu’il s’est passé cette
nuit-là, c’est… flou, comme un mauvais rêve. C’est arrivé
si brusquement. Je me souviens seulement de quelques bribes. Je me
souviens qu’on était à table, le ton est monté, très vite.
Quelques secondes après, il y avait du sang partout, dans la pièce,
sur mes vêtements… je me souviens pas les avoir frappés, j’étais
en train de manger et la seconde d’après, j’étais debout au
milieu du salon, à contempler l’horreur de ce que je venais de
faire.
Theo restait figé, paralysé, devant la boite
de Pandore qu’il avait ouvert. Face à lui, Louis récitait sa
confession avec un détachement qui le mettait un peu mal à l’aise.
- C’était comme… une absence momentanée de
raison, comme si pendant un temps très court quelqu’un avait pris
possession de mon corps, de mon cerveau pour me libérer une fois le
travail terminé…
- Et…ensuite ? demanda Theo, dans un
effort qui lui parut surhumain.
- A ton avis. Tu crois que je suis resté à
attendre qu’on découvre les corps ? Je suis parti, n’importe
où, le plus loin possible, j’ai emprunté des petites routes,
pour être sûr de rencontrer le moins de monde possible… et puis
un mec m’a pris en auto-stop… j’ai pas réfléchi, j’étais
paumé, je savais pas quoi faire, où aller, je suis monté… et ça
se termine là…
Un autre genre de silence s’ensuivit, celui
du deuil. Theo avait voulu des explications, il venait de réaliser
que parfois l’horreur de l’imaginaire se concrétise dans la
réalité.
- Je me souviens de tout, absolument tout, quand
il m’a frappé, quand il m’a trainé au fond du bois, et le
reste…
Les deux garçons se tenaient à quelques
mètres l’un de l’autre, à chaque extrémité de la piscine, un
univers les séparait. Pour la première fois, Louis semblait
faillible, sur le point de craquer et de s’effondrer, pour la
première fois depuis qu’ils se connaissaient.
- Pourquoi t’es pas venu ? Pourquoi t’es
pas venu me voir, après avoir…fait ça ?
Louis poussa un petit rire nerveux.
- Pour te dire quoi : « Eh, salut, je
viens de buter mes parents, tu viens avec moi ?» ? Soit
pas totalement idiot. T’aurais fait quoi ?
Theo s’apprêtait à répondre « je
t’aurais suivi, je serais parti avec toi » mais il savait que
c’était faux, stupide et naïf. Louis s’extrait de la piscine,
l’eau semblant glisser sur sa peau pâle et abimé.
- Il va pleuvoir, on ferait mieux de rentrer.
Il regarda son ami s’éloigner, disparaitre à
l’intérieur de la maison, avalé par l’obscurité ;
quelques gouttes commencèrent à tomber, bientôt rejointes par des
milliers d’autres et le grondement du tonnerre, au loin, qui
annonçait avec fracas sa venue. Il sortit de l’eau pour aller
rapidement s’abriter.
Louis était monté dans sa chambre, elle aussi
restée en l’état : le lit était défait, des papiers divers
et des cd trainaient sur le bureau, les posters scotchés aux murs
appartenaient à une autre vie, à un passé révolu. Un couple de
chats errants s’enfuit lorsqu’ils pénétrèrent dans la pièce,
les laissant seuls, avec le poids des souvenirs, avec des fantômes
trop vieux pour être conjurés.
- J’ai l’impression d’être parti pour un
trop long voyage… sauf qu’il n’y a personne pour m’accueillir.
- Je suis là.
- Tu sais de quoi je veux parler.
Louis frôlait du bout des doigts le moindre
centimètre carré de la pièce, comme s’il cherchait l’emplacement
caché d’un coffre, soulevant au passage des volutes de poussières.
- Après l’accident, tout le monde ne parlait
que de ça, chacun avait ses propres théories, ses propres ragots
concernant ta famille, tout le monde te désignait comme coupable,
j’étais peut être le seul à ne pas vouloir y croire.
- Et maintenant que tu connais toute la vérité ?
Theo haussa les épaules.
- Qu’est-ce qu’il s’est passé durant le
temps pendant lequel t’es parti ? Je veux dire, où t’étais ?
Louis esquissa un sourire amusé, il
s’attendait à cette question, il se demandait juste à quel moment
il allait oser la poser.
- Tu veux savoir ce qu’il y a de l’autre
côté ? T’es vivant, profites en et t’occupe pas du reste…
je ne sais pas ce qu’il y a de « l’autre côté »,
je n’en garde aucun souvenir, juste un immense trou noir, jusqu’à
mon retour ce soir. Je suppose que tout le monde ne parle que de ça.
- Rien n’est plus pareil depuis votre retour,
les gens en parlent constamment, en bien comme en mal, certains
espèrent, d’autres ont peur. A chaque orage, ils se demandent si
les choses vont recommencer ; Personne ne peut expliquer ça.
- Y’a-t-il vraiment besoin d’explication ?
Les morts sont revenus, peu importe pourquoi ou comment, on est
revenus, ça devrait leur suffire. Parfois, il n’y a pas de
raison, pas d’explication : les gens attendent trop. Nous ne
sommes la preuve de rien, si ce n’est que la mort n’est
peut-être pas un état définitif… et encore, rien ne dit que
nous ne sommes pas une gigantesque hallucination collective. Mais
nous ne sommes pas la preuve de l’existence d’un quelconque
au-delà, du Paradis ou de l’Enfer, ni même d’un quelconque
Dieu. Si tu veux mon avis, tout ça est une grosse farce, la plus
grosse blague qu’on puisse faire. Quelque chose à dérapé ou
quelqu’un a fait une erreur et nous sommes revenus, et lorsque
tout sera réparé, tout ça s’arrêtera du jour au lendemain…ou
pas. Ou bien nous allons tous revenir pour de bon. Je n’en sais
pas plus que toi.
Theo cru remarquer un léger frisson, un léger
tremblement à la commissure de ses lèvres, ses doigts qui
refusaient de tenir en place, comme lorsqu’il refusait de dire la
vérité… ou peut-être n’était-ce rien. Louis se rapprocha de
lui, mit ses deux mains sur ses épaules, et plongea son regard glacé
dans le sien.
- La vérité c’est que tout cela n’a pas
vraiment d’importance, je n’ai pas envie de parler de ça. La
nuit de durera pas éternellement, profitons en tant qu’il est
encore temps.
Ce qui se passa durant le reste de cette nuit
est un secret d’alcôve, que la maison garde jalousement entre ses
murs. Ce fût une fête, une célébration, des retrouvailles, deux
enfants qui vécurent cette nuit comme si c’était la dernière,
comme si le monde allait s’effondrer dans quelques heures. Rien
d’autre n’avait d’importance, ils étaient seuls au monde, dans
cette maison muette, au moins jusqu’au lever du jour. Les
frontières étaient abolies.
Puis ils s’endormirent côte à côte,
épuisés.
Theo ouvrit un œil pour entrevoir les premiers
rayons du soleil qui tentaient déjà de pénétrer à l’intérieur.
Il ouvrit le second pour s’apercevoir qu’il était seul, Louis
était parti, comme s’il n’avait jamais été là, comme s’il
avait imaginé toute cette nuit.
Certes, il savait à quoi s’attendre, il
savait qu’une fois le jour levé, il aurait disparu, mais il avait
espéré, que les choses soit différentes.
Il se leva, très lentement et quitta la
maison, à regret. Il referma la porte derrière lui, qui claqua
dans le matin calme, pendant qu’au loin l’aube grignotait la
nuit. Il s’enfonça à nouveau dans le jardin en friche pour
regagner le mur d’enceinte par lequel il était venu, jeta un
dernier regard à l’immense demeure, avant de rejoindre le monde
civilisé, dans l’espoir qu’à la prochaine pleine lune, il
serait là, à nouveau.
LA
MAISON SILENCIEUSE
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