Ça
commence par quelques flocons épars. Rien qu’un coup
d’essuie-glace de temps en temps ne puisse gérer. Puis le ciel
devient encore plus sombre – ce qui ne paraissait pas possible
avant –, la neige plus drue complique la tâche des balais sur le
pare-brise et la visibilité s’amoindrit un peu plus, ralentissant
un peu plus le trafic automobile sur la route du travail – ce qui
ne paraissait pas possible avant.
La
bouillie d’abord marronâtre sur le bord commence à blanchir et
s’épaissir ; on n’y voit plus à cinq mètres et la voiture
devant moi, à l’arrêt depuis plus d’une minute, ne semble pas
vouloir repartir. Les quelques feux stop qui percent le brouillard
sont tous immobiles. Les phares jaunes que j’entraperçois de
l’autre côté du terre-plein ne bougent pas plus. Il n’est pas
rare que la circulation s’arrête momentanément sur le périph’,
mais le phénomène d’accordéon reprend toujours. Il tombe de la
neige tous les trois ou quatre ans et à chaque fois c’est la même
chose : quelques centimètres et c’est le blocage ; il va
falloir s’armer de patience.
Ce
spectacle blanc me rappelle ce conte… Il était une fois, dans
le royaume boréal, une princesse. Au solstice d’hiver, après sept
jours et sept nuits de neige, le château était pris dans les
glaces. En ces latitudes, c’était le milieu de la grande nuit et
il fallait attendre encore une semaine que le soleil vint percer
l’horizon et caresser de ses rayons les pierres de l’édifice. En
attendant que la déesse Printemps réchauffât le cœur de son
frère-amant le dieu Hiver, la princesse était prisonnière de cette
immense statue de glace qu’était devenue sa demeure.