jeudi 9 octobre 2014

[Critique] Les Demoiselles d'Alex Porker




A la demande de l'auteur, qui m'a contacté sur FaceBook, je m'essaie à la critique littéraire !

"Les Demoiselles" est donc un court roman d'Alex Porker, jeune écrivain parisien ayant déjà publié deux livres (que je n'ai pas lus) : "Fermons les yeux, faisons un voeu" (Hermaphrodite, 2008) et "Makeup Artist" (Alexipharmaque, 2010). 

L'intrigue se déroule dans un futur proche, et démarre par un fait divers abominable : dans un appartement parisien, la police découvre 4 cadavres, dont 3 enfants, ainsi qu'une jeune survivante (pas au mieux de sa forme !). 

De manière assez classique, l'affaire nous est introduite par le biais d'un enquêteur, mais la narration ne tarde pas à quitter les rails du simple thriller pour nous plonger au coeur de l'horreur.

Car le sujet principal du bouquin, et apparemment des oeuvres précédentes de l'auteur à en croire leur synopsis, est celui de l'enfance pervertie. Aussi, les véritables monstres sont bel et bien Les Demoiselles éponymes, hypersexuées et décadentes dès le plus jeune âge, que Porker nous fait cotôyer de près à travers le journal intime de la survivante, entraînée malgré elle dans un univers d'une noirceur absolue.
Les dialogues et les comportements des petites pestes sont hallucinants de vulgarité et de violence (bon, j'avoue que mon mauvais goût assumé a aussi trouvé ça marrant par moments !), tout particulièrement chez Cyl, la meneuse du groupe. Le personnage de Marc, seul adulte de la bande, pédophile comme on peut s'en douter, s'avère également particulièrement réussi : dans une inversion des valeurs usuelles du Bien et du Mal, il apparaît non comme un bourreau, mais comme une victime...
Mention spéciale enfin à une scène d'horreur absolue se déroulant dans l'obscurité totale, où le trouillomètre monte très haut (dans un style proche de la fin du premier [REC]...). 
L'ambiance et les thèmes des Demoiselles m'ont rappelé ceux des oeuvres de Morgane Caussarieu (la plus cruelle des punkettes buveuse de sang !). Je recommande ce livre aux amateurs d'horreur/épouvante intelligente (et qui ne considèrent pas uniquement les enfants comme de gentils chérubins !).

Un bémol toutefois, adressé non pas à l'auteur mais à l'éditeur Alexipharmaque, dont j'ai trouvé le travail tout bonnement honteux, voire inexistant, à croire qu'il s'est contenté de copier/coller le tapuscrit brut de l'auteur sans la moindre relecture ni correction : les fautes de frappe ou d'orthographe sont légions, et il faudrait expliquer au maquettiste qu'après un guillemet fermant un dialogue, on ne met pas de majuscule (exemple : "Tu m'entends, sale flic ? Fit-elle d'une voix profonde"... c'est comme ça dans TOUT le bouquin). Bref un travail de sagouin qui ne met pas en valeur celui de l'auteur, que j'encourage vivement à changer de maison d'édition...   

Mise à jour : l'auteur me précise que les défauts sus-cités ont été corrigés dans une ré-édition. Vous n'avez donc plus de raison de ne pas lire son livre !

Herr Mad Doktor

mercredi 1 octobre 2014

Vintage Porn Star [Mathlamenace]

Vintage Porn Star

“And where will she go and what shall she do
When midnight comes around”
(Velvet Undergrounds –All tomorrow’s parties)

Nous sommes le 23 septembre 2036 et sur le site ValuablePastShots.com on peut lire pleine page, en police indigo sur fond noir « débranchez les machines, oubliez les souvenirs numériques et sortez, ce soir le passé est dehors ».
Du poste de contrôle vidéo, je regarde la foule gonfler et se masser devant l’écran géant. Les enfants arrivent par vagues désordonnées, tournant autour de leurs parents comme des satellites à l’orbite chaotique. Les adultes ne tentent même plus de les calmer, le rapport de force n’est de toute façon plus de leur côté depuis longtemps. On commence aussi à apercevoir quelques personnes vraiment vieilles, les personnes les plus vieilles que je n’ai jamais vues. Les gosses s’impatientent et se mettent à secouer leurs lampions pour essayer de former des lettres lumineuses dans la nuit. À l’intérieur, des leds clignotent en tentant vainement d’imiter la lueur jaune et vacillante d’une flamme de bougie, faisant ressembler à des spectres digitaux les visages imprimés sur le tissu. La place elle-même est décorée de larges panneaux où sont écrites d’interminables listes de noms apposées sur des photographies d’enfants au sourire surnaturel. À chaque célébration, on a droit au même mélange de nostalgie kitsch et de chantage à la mémoire, comme si les morts d’hier devaient fatalement venir nous pourrir la vie.
Dans la salle, Linda C.  Beauchamp stoppe le réglage de la console de son quand le gars de la sécurité s’attarde un peu trop longtemps sur mon badge. Il me détaille en marmonnant « Arthur D. Cantor, projectionniste stagiaire » avant de reprendre le visionnage de notre montage. Linda a insisté pour que je mette mon vrai nom quand j’ai fait le badge ce matin, au cas où l'on vérifierait mon identité. Une fois la vidéo terminée le type hoche la tête et se barre retrouver sa famille. La porte d’acier a à peine claqué que je lance l’algorithme de décodage. La machine crépite quelque temps sous la taille inhabituelle de l’archive. Linda pose sa main sur la mienne et la place sur la touche de démarrage. Pour moi cette proximité est presque plus troublante que ce que l’on a vécu jusqu’ici. Sa tête sur mon épaule elle murmure : « vas-y ».
Les premiers crachotements des enceintes stoppent net l’agitation de la foule. Un couple d’enfants d’une dizaine d’années se tenant par la main apparaît sur l’écran. L’image a été bruitée et traitée avec des filtres sépia pour ressembler à une antique bande super 8. Le rendu naturel et les images haute définition sont si réels qu’ils créent une sorte de décalage, comme si le passé prenait place dans le présent. Alors on a vieilli des images déjà anciennes pour leur donner la saveur d’une époque deux fois révolue. Des souvenirs de nos frères avec la couleur des souvenirs de nos parents.

Vibrato [Corvis]

Il était une fois, dans un quartier discret d’une métropole anonyme, une jeune femme réservée qui entre ses cuisses épuisait ses espoirs et ses doigts.
Sous ses draps noyés de sueur salée et de cyprine sucrée, elle s’efforçait de déverrouiller le loquet qui retenait son plaisir.
Suzanne était son nom, mais devant la sonorité désuète d’un tel patronyme, sa famille, ses amis, ses collègues de la bibliothèque, tous l’appelaient Suzie, et personne ne connaissait son épineux problème.

Suzie avait beau être introvertie, elle avait eu assez d’amants et de petits amis pour se faire une idée des paramètres.
Elle avait expérimenté les plaisirs solitaires avec les copines à l’âge des poussées d’hormones et des excès de sébum.
Il y a peu, elle avait écarté l’idée d’une homosexualité refoulée.
Elle avait beaucoup lu, s’était énormément renseigné sur la sexualité féminine, avait appris l’existence de ses glandes de Skene ; elle avait découvert que toutes les femmes éjaculaient au paroxysme de la jouissance, qu’on ne pouvait pas être pathologiquement clitoridienne ou vaginale, et que tout individu, même mâle, était biologiquement capable de ressentir le plaisir anal. Les seuls blocages résidaient dans la tête, et la qualité du partenaire.
Elle était passée de la dépression à la colère, de l’angoisse à la résignation.

La Nuit 2 [Corvis]

Tout d’abord, prendre conscience de l’inéluctabilité. Tu es nu dans la fraicheur du soir, et pourtant la chaleur t’empêche de t’endormir. Le sang accourt et pulse entre tes jambes. Vision fiévreuse. Lutte, mais finalement décision, résolution : faire glisser sa main. Des espoirs ouatés peuplaient tes paupières closes, tu voyais son sourire, tu sentais son parfum, tu entendais son rire qui berçait ta somnolence, et maintenant c’est son corps et une toute autre odeur qui circule dans ton crâne.
Allongé, attendre un peu. Le temps de prendre de l’assurance. De faire jouer ton sexe entre tes doigts jusqu’à ce qu’il soit plein et enflé. Tu caresses en douceur cette chair qui se dresse. La sensation se répand. Il y a une main, il y a une verge, il y a une respiration qui prend de l’ampleur. Tu imagines ce cœur que tu voudrais prendre, et cette bouche, et ce corps que tu voudrais prendre, et qui ne sera probablement jamais contre le tien. Dans un frisson tes doigts se referment, tu tires délicatement sur la peau et le gland se dévoile, rond et sombre. Resserrer sa main comme un fourreau, se caresser lentement en tâchant de faire le moins de bruit possible. Tu ne voudrais réveiller personne. L’autre main sur un sein invisible, tu amorces le va et vient. Doucement tout d’abord. Subtil mouvement qui découvre ta prune, la recouvre, et la découvre encore. Une valse ample et souple qui t’emmène du prépuce à tes bourses, comme tu traînes sur ce membre durci. Ton cœur bat fort. Tu l’aimes, et plus encore tu la désires. Le plaisir t’enflamme et tu accélères. Tu serres plus fort, tu descends et remontes dans un rythme de piston, avec une légère torsion du poignet, et à chaque passage tu sens d’agréables picotements. Tu veilles à garder la cadence, malgré la fatigue musculaire qui s’installe. Ne pas rompre le sortilège qui t’a enseveli dans un rêve palpable. Tu te masturbes avec ardeur et ta seconde main s’est crispée sur les draps.
Tu fais coulisser la peau, tu arrives dans la dernière ligne droite. Le mercure grimpe dans ton membre, et tu es cueilli par ces battements inhabituels de ton cœur. Tu ne la désires pas seulement. Tu es amoureux. Ton autre main quitte le tissu mouillé. Tu effleures tes bourses. Comme une caresse de ses doigts.
Les étoiles scintillent devant tes yeux. Tes sentiments et tes passions à jamais inavoués te paraissent si loin, comme l’explosion commence dans ton bas-ventre. Ici, tu es au ciel, en sécurité, seul au monde.
Tu jouis. Créature un peu oscillante, tu éjacules tranquillement face à la nuit, dans un silence feutré. Et en déversant ton sperme sur un côté du lit, tu penses encore à elle.