vendredi 22 août 2014

Le Petit Nocturne [Diane]

LE PETIT NOCTURNE

Si on parlait avec eux, on découvrirait sans doute que chez les chiens eux-mêmes il y a, sous leur forme canine, les déviances pathologiques du manque, de l’adoration, de la possessivité, voire de l’amour. Ce besoin. Cette maladie mentale. Est-ce que ça s’arrête un jour ?
Philip Roth, La Bête qui meurt


EXTRAITS DU GRAND LAMENTO PETIT NOCTURNE

            Faire l’amour (ou avoir un rapport sexuel) avec cet homme bleu était une expérience purement spirituelle, intégralement ressentie dans l’esprit et le corps, racontait-elle d’une voix tremblotante à son analyste. Son regard amer se posa sur le grand poster de Saturne accrochée sur le mur blanc. Cette photo était devenue célèbre pour avoir été la toute première image de Saturne prise depuis Titan. C’est dix milliard de fois la charge de plaisir que l’on peut prendre avec un homme de la Terre, même le plus sensuel ou le plus performant ajouta Adèle, d’une voix monotone. Elle soupira à cet instant en entrecroisant ses doigts, les mains jointes, comme pour signifier sa frustration, de ne pas avoir de mots justes pour expliquer avec exactitude, ce qu’elle ressentait véritablement. Lorsqu’elle était avec lui, l’homme bleu, son amant. Devant le miroir de sa salle de bains, elle pleurait régulièrement le visage rougit par la honte et son sexe dévoré par le désir d’être rempli à nouveau par son énergie extraterrestre si intense, comme une vague de glace qui procurerait un bien-être indescriptible.
            Judith ouvrit les yeux, se réveillant d’un sommeil peu efficace, sortie d’un rêve à la narration pauvre (elle faisait des courses dans un supermarché dans lequel des hordes de chiens déféquaient et copulaient dans tous les sens sans que personne ne s’en offusque. Le rêve finissait alors que des gens commençaient à paniquer parce qu’il n’y avait pas de sortie, tandis que le sol était jonché de saletés diverses qu’ils ignoraient complètement). Elle se gratta derrière l’oreille, nue dans son lit, s’étira comme un chat, et regarda l’heure. Son jeu habituel démarra : « il faut que je me lève. Lève-toi. Allez. Tu peux y arriver. Tu vas y arriver. Tu y arrives déjà. Tu y es déjà arrivée. C’est comme ça qu’on fait. Regarde.» De la main droite elle commençait à se doigter sérieusement, de la gauche, pris son portable sur sa table de chevet pour regarder ses nouveaux messages reçus pendant la nuit. La figurine d’un petit alien en plastique vert aux multiples yeux exorbités, posée sur sa commode Ikea attira son attention, et elle arrêta immédiatement de se masturber. C’était son petit frère qui l’avait oublié à sa dernière visite. Un élan irrépressible l’obligea à se lever, malgré elle. Elle eut l’impression de lever une masse de plusieurs tonnes, alors que ses côtes étaient saillantes, vue le poids conséquent qu’elle avait perdu en quelques semaines.
            Les êtres bleus venus de Sirius ne s’attachaient pas aux humains, comme leurs partenaires humains s’attachaient toujours à eux, surtout après une expérience sexuelle complète. Il n’y a jamais pénétration avec cet être bleu, dit Adèle à une amie curieuse un jour, et pourtant c’est comme si j’étais pénétrée… par plusieurs hommes à la fois. Entièrement, entièrement, et plus fort. Sans douleurs. Elle insista véritablement sur ce mot, «entièrement », le répétant d’une manière un peu obsessionnelle, en expliquant que c’était important que son amie comprenne. L’analyste lui avait conseillé de couper les ponts avec cet être qui était visiblement d’énergie masculine. Adèle lui avait répondu en souriant nerveusement, une flamme d’hystérie dans les yeux : « comment faites-vous rupture avec un individu qui peut se matérialiser à n’importe quel moment de la journée dans votre chambre, même simplement pour passer quelques minutes en coup de vent ? »
            Plus tard, elle regarda son calendrier sur son portable et y inscrivit la date de son prochain rendez-vous. Puis les années affichées dans le calendrier défilèrent : 2122, 2123, 2124, 2125, elle compta encore trois années, pour observer que cela faisait sept ans qu’elle était en analyse. Elle regarda au coin de la rue l’androïde policier aux yeux lumineux qui aidait les enfants à traverser, et retenait ses larmes tellement elle se sentait ridicule et avait envie d’arrêter, encore une fois, son analyse qui ne la menait nulle part depuis son divorce. C’était une sourde évidence.
            Des rumeurs circulaient, sur la volonté des extraterrestres de mélanger leur héritage génétique avec le nôtre. Ces rumeurs étaient parfaitement démenties par La Grande Sphère, source unique d’autorité politique pour les humains. La Grande Sphère précisait que l’évolution de l’Univers avait appelée à la rencontre entre espèces, issues de tous les coins de l’Espace-Temps sur notre Terre, qui avait bien des noms différents selon la race extraterrestre. Peu d’humains comprenaient le jargon utilisé par La Grande Sphère, souvent accusée de garder un contrôle mental abusif sur la population mondiale par quelques races extraterrestres pacifistes refusant, notamment, toutes interactions sexuelles avec les humains.   
            Il marchait dans le champ de blé. Il y avait à quelques mètres devant une voie ferrée. Elle marchait derrière lui en tenant un coquelicot. Le soleil se couchait, il n’y avait que le bruit d’un vent léger et chaud dans les feuillages des arbres, dans le blé, dans les hautes herbes. Quelques cigales, quelques criquets. Elle portait sa robe bleue avec de petites fleurs roses et blanches qu’il aimait tant. Elle avait une arme accrochée à la cuisse et attendait son moment, en se disant, que, cette fois encore, elle n’allait pas y arriver. Qu’elle aurait mieux fait de le baiser là à la place, comme elle avait si bien su en baiser des tas d’autres avant lui. Lui, si on ne lui mettait pas un doigt dans l’anus avant, il ne bandait plus. Sa jeunesse perdue.
            L’arrivée des extraterrestres de tous les points de l’univers changea socialement, avec radicalité, la sexualité des êtres humains, y compris dans leurs rapports entre eux. Les Lyriens ou encore ceux de Vega, les grands blonds, étaient les plus attirants du point de vue des hommes et des femmes de la Terre, parce qu’ils ressemblaient à de grands êtres humains magnifiés, parfaits. Ils avouèrent d’ailleurs s’être fait passer pour des anges, ou des mages, dans les temps antiques de l’humanité. Tous les extraterrestres n’acceptaient pas toujours les propositions sexuelles qui leur étaient faites. Mais certains en étaient les instigateurs. Ainsi, des rumeurs de partouzes dégénérées sont nées, en particulier dans la communauté qui fréquentait les êtres venus d’Orion et de la constellation du Cygne. Avant leur arrivée, la sexualité humaine ne se résumait plus qu’à une expression animale qui avait perdu de sa place centrale dans l’existence morale humaine. Après la grande tribulation décrite dans Le Grand Lamento des Sages Survivants, ce qui restait d’hommes et de femmes de la Terre s’était profondément désintéressé de toutes choses, en particulier de tout ce qui demandait l’effort d’un contact social, sentimental et/ou bien entendu physique. Les survivants, ceux qui n’avaient pas atteint un état de sagesse, avant l’arrivée des êtres venus de tous les points de l’Univers, attendaient « leur tour » comme un bon nombre d’entre d’eux le disait avec un cynisme mou et effacé. Avant l’arrivée des extraterrestres, il n’y avait plus rien à vivre comme si le temps s’était brusquement arrêté. Pour toi, pour moi. Pour nous tous.
            Judith descendit les marches en agitant sa jupe non repassée, elle en avait bien conscience. C’est là qu’elle le vit, encore. Ce type, à l’air slovaque. Qui devant la porte de sa voisine, Madame Fringus, une dame âgée, se branlait en grognant un peu. Il cacha son sexe en regardant Judith en coin, elle passa lentement derrière lui, le scrutant avec insistance, respirant son odeur de sueur prononcée, puis quelques étages plus bas, elle entendit à nouveau le bruit spécifique de la masturbation qui reprit, de la main qui agite le pénis, les doigts l’encerclant, ouvrant complètement le prépuce pour offrir le gland à l’extérieur, et tout cela très vite, avec quelques effets rauques de la voix d’un homme logiquement essoufflé, surtout quand il arrive au bout de cette course qui fera de lui un perdant complètement vidé, quoiqu’il arrive. Quoiqu’il puisse s’imaginer.
            Avoir une relation sexuelle avec un extraterrestre, donnait la sensation, enfin, d’appartenir à quelqu’un. Adèle n’avait plus ça avec un homme de son origine terrestre, et personne n’avait plus cela non plus avec une femme de la Terre, ni de lui appartenir, ni de l’avoir pour soi. Plus rien n’appartenait à plus personne.
            Ce qui était excitant pour certaines femmes et certains homosexuels, c’était la quantité de sperme produite par chaque éjaculation des Grands Blonds. On aurait pu remplir facilement la moitié d’une bouteille de coca avec. Même s’ils acceptaient rarement un rapport sexuel, spirituellement trop élevés pour la plupart d’entre eux, et donc, logiquement, peu concernés par les travers de la chair. Ce qui était également vrai, c’était que leur sperme ne pouvait, en aucune circonstance, être porteur de virus ou de maladies.

           
            Presque chaque matin, la vieille Madame Fringus se baissait pour nettoyer le sperme par terre, parce qu’elle regardait comme une petite curieuse dans le judas le simili-slovaque se satisfaire. Elle épongeait vite parce que sinon l’une de ses chattes, Mimi, allait laper le sperme de cet homme, c’était arrivé plusieurs fois. Et personne ne voulait que ça recommence.
            Telle race avait une lumière au bout d’un sexe qui ressemblait à une fleur ouverte, rose et verte. Et qui produisait immanquablement des rires chez les humains qui essayaient de les sucer, la lumière irradiant l’intérieur de la bouche. Ce qui affichait les réseaux sanguins des joues, par transparence. C’était drôle. Telle autre race n’avait pas de sexualité. Tous leurs êtres étaient hermaphrodites. Dans un étrange rite, ils s’autofécondaient eux-mêmes, sans plaisir, sans déplaisir. Par choix de se reproduire, simplement, selon la densité de population, les êtres à faire naître pour renouveler l’espèce. C’était important de réguler, contrairement aux humains qui s’en remettaient à Dieu, qui avaient de leur point de vue toutes les réponses.
            L’amie d’Adèle avait un frère, Julian, qui avait pendant longtemps vécu avec un autre homme, Adrian. Plus âgé, plus mûr, et qui ne voulait qu’une relation dédiée. Julian a pendant longtemps fantasmé sur les êtres venus d’Orion, leur peau de crocodile, et leur sexe à crochet, qui, paraît-il, mélangeait plaisir et douleur dans un flash de bien-être ultime. Leurs grands yeux jaunes, et leur capacité à changer de couleur, de forme, comme des caméléons, selon leur désir, ou celui de l’humain avec qui ils choisissaient de copuler, tout ceci faisait qu’ils dégageaient un charisme particulièrement fort. On les surnommait les « Lions reptiliens ». Parfois ils copiaient l’apparence de leur partenaire humain pendant le sexe, pour le troubler davantage en pleine jouissance. Baiser avec son jumeau, son clone, c’était plus ou moins le fantasme de tous les êtres honnêtes à un instant T. Rien de narcissique là-dedans.
            Dans le métro, Judith agrippa la barre pour se tenir, en pensant à toutes les mains sales qui l’avaient touchée avant elle. Tous ces hommes, toutes ces femmes, qui ne s’étaient pas lavés les mains après un petit tour aux toilettes. Cette perspective ne l’excitait pas mais elle sourit en pensant à l’idée qu’autrefois, cela aurait pu lui provoquer un petit orgasme, voire une petite mouillure. Des hommes, des arabes, des noirs et des allemands (il devait y avoir un match de foot quelque part), se frottaient contre ses fesses, et moins fréquemment, une femme le faisait, manifestement homosexuelle. Ou passait face à face, en pressant sa poitrine contre la sienne, provoquant une légère stimulation aux bouts des seins. Dans l’étouffante chaleur de l’été, le métro devenait un repaire de monstres sexuels qui refoulaient la dépression et la sueur comme des sprays automatiques, sur lesquels il n’y avait aucune utilité de presser un bouton, pour provoquer des effluves chargées. Tous étaient à la recherche de quelque chose qu’ils ne trouveraient jamais ici.
            Vingt minutes plus tard, après une alerte à la bombe sur les rails du métro, Judith était parfaitement détendue, regardait autour d’elle comme si elle s’était trouvée sur Mars et qu’il y avait eu de l’activité vivante à observer. Elle aimait investir dans cet état d’esprit, elle pensait que cela lui donnait l’illusion d’un détachement, qu’en temps normal, elle ne parvenait pas toujours à atteindre. La plupart des hommes d’affaires qui s’étaient couchés sur elle, alors étudiante, oubliaient les numéros de leurs comptes en banque pendant la pénétration, voire même le visage de leurs enfants. Elle avait toujours trouvé ce fait extrêmement révélateur, et l’avait écrit dans son mémoire. Leur oubli des choses sérieuses l’espace d’un moment où il faut utiliser son sexe, même lorsqu’il y a un accord tarifé derrière, était juste proprement sidérant. Finalement les ordinateurs ne fonctionnaient pas différemment, par compartiments, ce qui rendait Judith profondément mélancolique, par moments. Mais une fois que c’était fini, ils revenaient très vite à leur déguisement habituel. De toute façon. De toute façon, elle se disait parfois que les pères, du moment qu’ils avaient engendré la vie une fois, avec leur semence, ne devraient plus envisager le sexe pour le plaisir. Ce n’était pas pareil de baiser avec des hommes jeunes qui n’avaient pas encore goûté à la paternité, il y avait une différence qu’il m’est tout simplement impossible de décrire avec des mots, même de tenter de le faire.
            Des rumeurs prétendaient que les gens venus d’Orion avaient, dans des partouzes, accidentellement déchiré les organes internes de leurs partenaires terriens. Des vagins en sang, des anus explosés et nécrosés comme résultats aux urgences. Leurs sexes avaient de petits crochets qu’ils contrôlaient à volonté. Comme chez certains reptiles sur Terre. Julian était mort, apparemment par accident lors d’un rapport sexuel, une double pénétration anale avec deux êtres « crocodiliens ». Son mari, Adrian, s’était pendu dans un garage, ravagé par le chagrin de la perte de son jeune partenaire. Le ventre de Julian avait comme explosé, ses boyaux sortis, étalés, dont un morceau enroulé à la tête de lit. En réalité, il avait demandé à ses partenaires reptiliens de le tuer pendant le coït. La Grande Sphère avait condamné la pratique de ces « suicides sexuels ».
            Un soir, Adèle avait croisé dans la rue une bande d’Orion. Ces trois individus avaient une peau de crocodile dorée, ils étaient jeunes et étaient manifestement sous l’influence d’un de leur alcool importé de leur monde. Ils l’avaient sifflée, et l’un d’entre eux portait un t-shirt avec un lion rugissant dessus et des couleurs fluo tout autour, censées représenter un arc-en-ciel. Ils l’avaient traitée de « vieille mammifère sexy ». Et avaient ensuite maugréé quelque chose dans leur langage, si inconfortable pour une oreille humaine. Elle avait ressenti de la peur et ils l’avaient perçue comme une marque de soumission. Mais ce soir-là, ils avaient passé leur chemin, même si elle aurait aimé qu’un homme, ou un être d’énergie masculine (cela aurait pu être une lesbienne), la force à avoir un rapport sexuel. Adèle le soir-même avait tenté de se masturber dans son lit, en pleurs. Son vagin désespérément sec. Obligé de le lubrifier abondamment. Elle avait supplié que son amant, venu de Sirius, ne se matérialise dans son salon, mais elle avait reçu une réponse négative dans ses sentiments. Elle avait senti qu’il était préférable qu’il espace ses visites. Elle avait crié, en pleurs, comme une femme de quarante ans perturbée par son retour d’âge. Toute seule, nue, dans son salon plongé dans le noir.
            Sa jeunesse perdue, même si avoir son âge, sexuellement, avait de nombreux avantages.
            Ton cul est comme un œuf à craquer, petit cochon, avait dit le crocodile humanoïde dans un anglais parfait à la créature porcine (l’humaine déguisée en porc) avant de rire à gueule déployée, laissant apparaître de petites dents bien ciselées recouvrant tout le palet et les muqueuses bien rouges, petites dents qu’il pouvait extraire de sa mâchoire et rétracter à volonté en grandes aiguilles effrayantes et mortelles. Ils faisaient semblant de mordre les mains, les pieds, les têtes des humains, ils faisaient vraiment semblants. Adèle avait une collection de films pornos avec ces créatures, films qui se vendaient sous le manteau et coûtait presque un bras. Les « crocodiles » à peau jaune aimaient toujours rabaisser tout ce qui n’était pas comme eux, les humains, les Siriens, même les crocodiles à peau verte foncée étaient considérés comme « inférieurs » ou vulgaires, juste parce qu’ils étaient profondément sages et pacifistes. Dans les films pornos, ceux sans scénarios en tout cas, ça existait encore.
            Vers midi Judith a vu un couple baiser dans une allée, la fille en jupe criait à chaque coup de sexe de son partenaire, comme une joueuse de tennis qui renvoyait une balle d’un revers avec force. Son mec cherchait, au moment où Judith les a surpris, à mettre sa langue dans sa bouche pour la faire taire, tout en gardant son sexe dans le sien. Ils ont senti son regard sur eux, mais l’ont complètement ignoré. Quelques mètres plus loin un insecte s’était posé sur la joue de Judith. Un insecte qui s’était laissé attraper du bout des doigts. Elle vit alors qu’il s’agissait d’une coccinelle noire à points rouges. Sur le bout de l’index, elle étira ses élytres, puis ses ailes, et s’envola, en emportant avec elle, peut-être, un bout de la rencontre qu’elle venait de faire avec Judith. La jeune femme mis ses écouteurs dans ses oreilles, branchés sur son iPhone, pour écouter un peu de musique. Avec un chatouillement impromptu dans le vagin, aussi fugace que l’apparition de l’insecte. Elle avait déjà tout oublié de ce qu’elle avait vu quelques mètres en arrière dans l’allée.
            En revanche, un souvenir remonta des profondeurs pendant qu’elle marchait, dans ses converses sales, avec sa jupe pas repassée, défroquée comme une pauvre fille, un souvenir de valeur. Pendant une manifestation d’étudiants, le gouvernement de l’époque avait envoyé des fourgons de CRS, pour matraquer les jeunes qui protestaient calmement. Comme si papa avait donné une fessée à son enfant sans lui dire pourquoi. Pendant qu’elle courait pour échapper aux gaz lacrymogènes, que tout le monde criait « repliez-vous ! », que les flics à casques noirs chargeaient, comme des aliens venus d’une autre planète, elle avait vu dans le fond d’une ruelle un vieux couple. Qui était occupé et perdu dans un baiser passionné, pas du tout concerné par ce qui se déroulait dans la rue d’à côté.
            Ce que ne disait pas l’analyste d’Adèle, c’était que ses histoires sexuelles avec un être venu de Sirius lui provoquaient de terribles érections. A tel point que lorsqu’elle quittait son cabinet, il était obligé de se masturber rapidement sur son fauteuil en cuir, après s’être déshabillé complètement, ne gardant que ses chaussettes, ses fixe-chaussettes, et ses ridicules cravates, plus rarement, un hideux nœud papillon rouge qui semblait avoir cent ans. C’était une antiquité que lui avait offert sa fille un jour où elle avait annoncé qu’elle avait un petit ami, une manière comme une autre d’avouer qu’elle n’était plus le bébé de son papa, et qu’elle était sexuellement active. Généralement, l’analyste aimait se gicler sur le ventre et le torse, et parfois, c’était sur son visage que cela atterrissait, quand il était très excité. Dans le fond ça le surprenait, mais ça lui donnait une grande satisfaction entremêlée d’un étrange sentiment de honte, celui qui se manifeste lorsque quelque chose d’incontrôlable s’est produit. Mais la giclée sur sa face, c’était comme une preuve de sa puissance masculine fantasmée. Comme la preuve matérielle d’un objet invisible dont l’existence était soumise au doute, à discussion. Et parfois, ça le faisait juste rire d’en recevoir sur son visage, sans interpréter. Comme tous les hommes, il avait goûté sa semence et les premières fois avait été révolté par la saveur très spéciale, écœurante et en même temps... renforçant son sentiment de force. De puissance. Parfois il méprisait cela aussi. Maudissant les choses comme elles étaient faites. Dans le fond, baiser, c’était pour les animaux, uniquement. Telle était la teneur pathétique de sa pensée par moments. Mais il était parvenu à aimer cela, son humanité, à accepter l’amertume pour ce qu’elle était, d’autant plus qu’il n’était pas du genre à prendre ces pilules très efficaces mais dangereuses, qui donnaient un très bon goût au sperme, tout en rendant inerte les spermatozoïdes. Adèle n’imaginait pas les scénarios que se faisait son analyste sur son compte, même lorsqu’il était avec sa femme, ou plutôt en elle, essayant de retenir son éjaculation dans son vagin qu’il qualifiait parfois de moisi (trop distendu pensait-il, alors qu’elle l’avait déjà fait rétrécir deux fois, à sa demande). Essayant de se retenir le plus longtemps possible pour que ce soit le meilleur possible.
            Lorsque la coccinelle s’était envolée du bout de l’index de Judith, derrière elle à quelques mètres, le type dans la ruelle avait jouit dans le sexe de sa copine, en grande quantité, à tel point qu’en se retirant, presque tout était ressorti, en dégoulinant de manière surprenante, ce qui avait trempé les cuisses de la fille. Il en avait ressenti une grande gratification, elle, moins. Elle avait un peu ragé, parce qu’elle n’avait pas de mouchoirs pour s’essuyer.
            En dégustant un sandwich assise sur le bord de la fontaine, au centre de laquelle la statue d’un Ange était représentée, un Ange tenant dans une main une boule ressemblant à un soleil éclatant de l’intérieur et de l’autre une épée brandit en l’air, Judith éteignit sa musique et vit trois couples qui marchaient ensemble, de jeunes hommes aux larges épaules, sportifs, inconscients, tenant chacun des filles fragiles et délicates, deux blondes et une rousse. Toutes très féminines, avec des cheveux longs. Ils s’étaient arrêtés pour faire un pique-nique dans l’herbe, et elle les observa en mettant ses lunettes noires, mâchouillant son sandwich en se disant qu’elle était vraiment qu’une garce, d’avoir si souvent observé les autres faire semblant d’être vivants. Dans le fond, elle leur en voulait de leur petit jeu hypocrite, de faire semblant que leur bonheur apparent était plus qu’un bien-être passager qui allait connaître, incessamment sous peu, une fin irrémédiable, et que ce « bonheur » avait par ailleurs un quelconque rapport avec être en couple, en plein soleil, et se tenir par la taille en public. Alors qu’elle savait, et que tout le monde savait qu’ils étaient heureux tout simplement parce que, en privé, les jeunes hommes sportifs aux larges épaules mettaient leurs sexes dans les sexes des filles fragiles et délicates. De préférence. Et parfois, quand ce n’était pas dans leur sexe, c’était dans leur anus, qu’elles aiment ou pas. Ce que Judith ignorait, pendant qu’elle les observait s’amuser ensemble et pique-niquer, c’était que plusieurs dizaines de coccinelles noires à points rouges s’étaient posés à ses pieds sur les flancs et rebords de la fontaine, étirant leurs élytres, puis leurs ailes et partant à la recherche de quelques moucherons à dévorer.
            18 ans et deux enfants pendant le processus que cet inceste plus ou moins consentant à ses débuts avait duré entre Marie et son père.
            L’homme bleu un soir se matérialisa alors qu’Adèle buvait un thé devant son mur-télévision. Elle laissa tomber la tasse et se jeta dans ses bras, mi-solides, mi-énergie pure. Il l’embrassa sur le front. Entre eux tout se passait télépathiquement. De petits arcs électriques parcouraient déjà le corps d’Adèle, qui frissonnait de plaisir. Ses yeux complètement révulsés lui donnant un air sinistre. Il n’y avait même pas besoin d’enlever ses vêtements. Mais elle se retrouva, comme dans un rêve, portée dans son lit, nue, et lui se retrouva comme un drap sur elle, comme un démon bleu, un démon qui la possédait entièrement, son corps, son âme, mais ne lui voulait, malgré tout, pas de mal. Car il existe des démons qui ne font pas de mal, comme il existe beaucoup d’hommes de paix également. Avait-elle dit à son analyste, toujours inquiet de sa dépendance affective envers cet homme venu d’un coin lointain de l’Univers. Il n’avait pas saisi le parallèle fait. A vrai dire, tout ce qu’il faisait, c’était de bander dur comme un âne.
            Judith en regardant ces couples pique-niquer, se rappela de l’été de ses 15 ans. Un jour, cachée dans les hautes herbes, elle avait été réveillée de sa sieste par les cris d’une petite fille blonde. Elle avait vu en contrebas, dans le chemin poussiéreux, trois adolescents de 13, 14 ans autour d’une gamine qui ne semblait pas encore avoir dix ans. Ils s’amusaient à la pousser par Terre, pour qu’à chaque fois, elle tente de se relever. Et qu’ils l’en empêchent. Puis l’un d’entre eux, le meneur du groupe, commença à lui cracher dessus. Encore et encore. Les autres rirent allégrement avant de l’imiter. La petite se plaignait, leur demandait d’arrêter. Ils raclaient leurs gorges pour lui cracher sur le visage les plus gros mollards possibles, et certains étaient bien chargés et colorés. Ils trouvaient ça dégoûtant et drôle, et la petite pleurait en leur criant qu’ils n’avaient pas le droit de faire ça. Non. Ils n’avaient pas le droit. Elle dégoulinait. C’est à partir de là que les choses ont dégénéré et qu’ils ont commencé à lui donner des coups. Et que Judith a commencé à avoir peur pour la petite fille, mais hésitant toujours à intervenir, par crainte qu’ils ne s’en prennent à elle.
            Une sauterelle brune avec des ailes violettes se trouvait sur l’épaule de Judith et semblait regarder avec elle la scène. L’un des adolescents frappa tellement fort qu’il fit saigner du nez la gamine, qui se recroquevilla en position fœtale par terre, en tremblant, inondée de crachats. Gémissant comme une petite biche martyrisée. C’est alors qu’ils ont baissé leurs braguettes, pour l’arroser d’urine. Ensuite, avec leurs pieds, ils l’ont recouverte de poussière et de cailloux, juste avant de partir en riant, triomphants de leur petit amusement. La petite s’était lentement relevée, recouverte d’une poussière gluante désormais. Elle essuya comme elle put son visage et se leva avec difficulté. Elle tituba en regardant autour d’elle, ne sachant pas où aller, puis brusquement se mit à courir dans une direction précise, comme si un point dans l’horizon l’avait appelée à lui.
            Entre Danny Rolling & Christa Hoyt, il y avait eu du sexe aussi. Après l’avoir attendue chez elle, avant de la décapiter, il l’avait violée, Danny Boy.
            Judith avait fini d’espionner ses contemporains faire semblant que leur lien était plus que spirituel/biologique. Elle avait apporté des fleurs sur la tombe de Matthieu & Clara. L’image de Clara sans tête (combien d’êtres humains finissent décapités d’une façon ou d’une autre ?) et de Matthieu pendu dans leur garage s’interposa un moment. Ce n’était que l’imagination de Judith, elle n’avait pas vu les corps. Accroupit, avec ses doigts, elle commença à nettoyer un peu le sable et la terre sur le marbre gris.
            L’assassin de Clara ne fût jamais retrouvé. En revanche dans le cimetière où elle était enterrée avec son mari, des adolescents le soir s’y retrouvaient pour baiser à l’abri des regards. Parfois sur les tombes elles-mêmes, même si le confort manquait. Mais le confort avait toujours été une question optionnelle, dans le fond.
            A son réveil, Adèle était seule. De petits courants électriques parcouraient encore le lit. Son corps nu. Ses seins, aplatis par le temps. Ses cheveux étaient hérissés et hirsutes, elle éclata de rire en se voyant dans le miroir de sa salle de bains. Deux jours plus tard, les douleurs dans la région pelvienne redoublèrent d’intensité.
            Le Pasteur ouvrit la porte et sourit en voyant Judith avec des bras chargés de courses particulières. Elle aurait aimé l’embrasser sur la joue, malgré sa barbe, bien taillée par ailleurs, et qui ne lui allait pas si mal, même si elle préférait les hommes sans. C’était toujours mieux qu’une moustache ringarde. Plus tard, elle servit aux sans-abris leurs repas, des hommes et des femmes qui dans ce local pouvaient manger, boire et discuter, se divertir avec la télévision ou des jeux de cartes, et des banquettes dans la pièce à côté pour se reposer. Elle les regardait comme elle avait regardé les trois couples plus tôt, leurs visages amochés, leurs corps pantelants, leurs odeurs. Elle se demanda ce que cela voulait encore dire pour eux, de toucher et d’être touché par quelqu’un. Peut-être que cela ne voulait plus rien dire. Elle sourit nerveusement, s’apercevant que, bien qu’elle ne fût pas dans la même catégorie sociale, sur cette question précise, elle en était exactement au même point qu’eux, sur cette question du toucher. Un sens qu’elle avait manifestement laissé partir.  
            Plus tard dans l’arrière cuisine, le Pasteur lui apporta une petite liqueur, pour se détendre ensemble. Elle l’embrassa alors, spontanément, tendrement, sur la joue. Ce qui électrisa son corps tout entier. Epris, ils laissèrent tomber les petits verres qui se brisèrent sur le carrelage usagé. Il se rapprocha et la retint fermement contre lui, pour l’embrasser avec passion dans le cou, laissant trainer sa langue, ses poils de barbe piquants délicieusement sa jugulaire. Il aurait voulu déjà être en elle à cet instant. Il lui dévorait le cou tout en commençant à lui écarter les fesses. Oui, la barbe qui piquait ce n’était pas si mal, même si Judith redoutait les irritations plus tard, sa peau était fragile. Il avait déboutonné son chemisier pour embrasser ses seins, et elle l’avait laissé faire se sentant partir quelque part en dehors de cette réalité. Surtout qu’il était d’accord pour descendre plus bas, ce qu’il fit, pour lui lécher ses lèvres et son clitoris sous sa jupe. Pendant que Judith imaginait toute la scène le verre de liqueur à la main, le Pasteur, lui, regardait dans son portable qui venait de sonner, et la sonnerie était le thème musical du film L’Exorciste. Beaucoup de Pasteurs avaient ce genre d’humour qui ne fait plus rire à la seconde fois. Elle s’approcha d’une vieille peinture défraîchie accrochée au mur, représentant un cygne blanc sur un étang au clair de Lune. Quand elle lui demanda d’où venait ce tableau kitsch mais magnifique dans son genre, elle se retourna, et il n’était plus là. Alors elle posa le verre à liqueur sur la table en inox, liqueur qu’elle n’avait même pas goûtée, enleva son tablier, repris son sac et s’en alla dans un silence particulièrement accablant.
            Ce que Judith ignorait, c’était qu’un homme noir, un clochard, avec des cheveux et une barbe blanche, s’était mis en tête de la suivre. Avec une érection carabinée entre les jambes.
           
            L’amie d’Adèle après une semaine à tenter de lui téléphoner, de lui envoyer des messages sans succès, arriva devant sa porte, inquiète. Elle entra dans l’appartement avec son empreinte qu’Adèle avait enregistrée un jour. Elle se retrouva plongée dans le noir mais une subtile lumière bleutée prenait le dessus au bout d’un moment, lorsque les yeux s’étaient accoutumés à l’environnement. L’atmosphère était particulièrement étrange et l’amie d’Adèle sentit que quelque chose était anormal. Visiblement, l’appartement était en désordre. Une odeur sucrée flottait dans l’air, et des sortes de toiles d’araignées recouvraient grossièrement la plupart des meubles.
           
            L’été de ses 15 ans, Judith ne revit plus jamais les trois adolescents, ni la petite fille violentée d’ailleurs. Un jour, en plein soleil alors qu’ils se trouvèrent dans un champ, avec son père devant elle, qui tenait un grand bâton comme un druide pour le plaisir de leur promenade, ils levèrent la tête au ciel et virent ce qui ressemblait à un engin métallique, de la forme d’un bus aplati sur les bords, avec quelques hublots sur les côtés. L’engin reflétait les rayons du soleil comme l’aurait fait un objet en métal ou en aluminium. Cet objet avait attiré leur attention car il émettait un étrange bourdonnement et sa robe métallisée contrastait énormément avec le ciel entièrement bleu. Le père de Judith s’était mis devant sa fille, dans un geste instinctif de protection, et lui avait dit qu’ils feraient mieux de partir. Elle n’oublia jamais l’odeur particulièrement sensuelle et rassurante qu’avait son père, ce jour-là, quand il s’était mis devant elle, la protégeant de son bras, car il avait eu l’impression que la chose, suspendue dans le ciel, semblait initier un rapprochement, et perdait très lentement en altitude. Sans courir, mais promptement, ils s’en étaient allés, et la chose quasi-immobile était restée accrochée dans le ciel, derrière eux, non identifiée.
            De tout l’événement, c’était bien l’odeur enivrante de son père qui l’avait le plus marquée. Dans une certaine mesure, la dimension sexuelle de cette odeur était si évidente qu’il était impossible à Judith de ne pas la remarquer, et elle n’avait jamais cherché à se cacher cela à elle-même puisque la vérité était la chose la plus remarquable qu’un être humain pouvait percevoir et reconnaître. Et puis abandonner. Avoir désiré l’odeur de son père ne signifiait pas qu’elle avait envie de coucher avec lui après tout, et elle n’était pas sans ignorer qu’il existait des processus dans la vie humaine qu’il était vain de vouloir contrôler. Mais le Pasteur ressemblait à une version jeune de son père, c’était un fait dont elle avait à moitié conscience.. Il y a fort longtemps, dans un rêve elle avait bien sucé son frère aîné, le laissant venir dans sa bouche, avec beaucoup de plaisir. A son réveil elle s’était sentie mal, mais après tout, rien de tel ne s’était jamais passé. A part dans le rêve qui n’était pas réel. Rien de mal n’était arrivé.
            Ce qui accablait certains êtres, comme elle, c’était d’être télécommandé pour reproduire ce qui avait été à l’origine de son existence physique. De cette frustration, elle l’observait à présent, ne provenait pas uniquement la lumière de l’amour. Aussi naissait avec un cortège de malheurs, tous les voleurs et leurs banquiers, tous les meurtres et tous les projets de meurtres, toutes les guerres et leurs processus de paix, tous les infanticides et les mères bafouées, tous les Saturne et tous leurs pères à l’image d’Uranus. Contrairement à ce qui est écrit à la fin du texte, le monde ne s’est pas terminé à cause d’un gigantesque tsunami. Mais bien à cause d’un astéroïde.

            Le corps d’Adèle était momifié. Son abdomen avait explosé, et son amie mis sa main sur sa bouche, horrifiée par les yeux grands ouverts du cadavre, dirigés vers le plafond.  Elle se retourna et vit, rampant laborieusement sur le sol, ce qui ressemblait à un homme. Mais ses jambes étaient jointes. Sa peau était blanche et semblait être luisante, ou gluante, et il n’avait pas de cheveux, pas d’oreilles, ni de bouche ni de nez, mais deux trous grotesques desquels gicla un fil de soie, semblable à un fil d’araignée. Sa respiration sifflante était terrifiante, et il possédait un pénis flasque et très long, qui ne se terminait ni par un gland, ni par un méat. L’amie d’Adèle finit complètement enroulée dans le fil de la créature qui la suspendit au mur par la suite. Ce monstre avait ses yeux luminescents qui viraient du blanc intense au bleu, et c’est un flash de lumière qu’il aperçut à la fin de sa grotesque existence, quand l’homme bleu de Sirius apparu dans le salon d’Adèle et tendit calmement sa main ouverte vers lui, avec un air grave sur le visage, le considérant comme une chose qui n’aurait jamais dû se produire.
           
            Madame Fringus trouva dans sa boîte aux lettres une enveloppe, sur laquelle trois petits points positionnés en triangle étaient dessinés. Il faisait nuit à présent, elle allait toujours chercher le courrier très tard. Tous ses chats mangeaient dans leurs gamelles, les queues relevées. Dans la cuisine immaculée de la vieille femme, dont les photos aux murs montraient que ses enfants avaient fait beaucoup d’enfants à leur tour.
           
            Les concepts d’hétérosexualité et d’homosexualité n’existaient pas chez la grande majorité des races extraterrestres. De même, le sexe dit récréatif n’existait que dans un tiers de toutes les espèces de l’univers selon de dernières études officielles d’experts. Les deux races les plus extatiques quant au sexe de divertissement, étaient la race des reptiliens jaunes et la race humaine. Les deux races les plus réceptives aux lois de domination et de soumission. Deux des races considérées comme dangereuses par le Grand Conseil Universel Intergalactique, qui avait émis un rapport à ce sujet à La Grande Sphère.

            Certains aliens étaient uniquement attirés par les chevaux terrestres, et il était difficile de labelliser cela comme relevant de la zoophilie. Ces aliens prétendaient d’ailleurs que la Terre n’était pas ronde, mais carrée. Avec une pyramide à l’intérieur de son cœur.

            Adèle, allongée sur une table blanche dans une pièce totalement immaculée ouvrit les yeux. L’air qui rentra dans ses poumons lui provoqua une douleur terrible. Elle était nue, et baignait dans une sorte de liquide translucide aux reflets bleutés. Elle se redressa en hurlant, pressant son poing entre ses deux seins, comme pour l’aider à supporter la douleur, la brûlure, de l’oxygène pénétrant pour la première fois ses poumons.
           
            Au 21ème siècle, pendant que les humains allaient à leurs occupations, se réduisant toujours, tôt ou tard, à une partie de baise, dans leur propre système solaire plusieurs milliers de vaisseaux de toutes formes et horizons, sortis comme enfantés, pondus de gigantesques vaisseaux mères, pour la plupart plus grands que la lune, se cachaient à la vue de tous les satellites de professionnels et des télescopes amateurs des hommes et des femmes de la planète bleue. Si les êtres humains avaient été plus regardants sur les détails de leurs réelles conditions d’existence, et moins portés sur des choses triviales comme la sexualité, l’alimentation, la guerre, la politique ou encore la religion, ils auraient pu voir qu’ils étaient observés, et pas uniquement par des yeux approbateurs ou envieux. D’autant plus qu’à cette époque, bon nombres d’extraterrestres habitants des corps humains factices expérimentaient avec amusement et stupéfaction, toute la vacuité et la brutalité de la vie sur Terre, dont la sexualité humaine à cette époque sur le déclin.
           
            Judith était dans l’entrée d’un bâtiment avec plusieurs dizaines de personnes, dont une jeune femme asiatique trempée à cause de la pluie, qui pleurait dans les bras de son mari américain, grand, fort, rassurant, avec des traits irlandais. De larges épaules, un corps d’homme comme on aimerait en voir plus souvent. Ni spécial, ni quoi que ce soit de fantastique. Juste solide, juste bien présent, là, dans le réel. Il faisait nuit, non pas parce que c’était la nuit qui tombait mais parce que le ciel était rempli de nuées d’insectes divers, principalement des coccinelles noires à points rouges. Des alertes sur tous les écrans imaginables (publicitaires, télévisés, portables) annonçaient un tsunami soudain dans des proportions dramatiques. L’armée était sur le coup, des hélicoptères survolaient déjà la ville malgré les nuées d’insectes, dangereuses. Des milliers de personnes avaient fui par les routes, créant des embouteillages et d’impressionnants accidents. Plus personne, soudain, n’avait envie de baiser, de faire l’amour. Est-ce que ça ne s’arrête pas un jour ? Judith n’avait pas vu le clochard noir aux cheveux blancs, il était dans l’entrée avec elle, en retrait. Les gens paniquaient en écoutant, sur leurs portables, les infos, leur demandant de fuir le plus possible vers les montagnes. D’autres donnaient des informations totalement différentes, demandant aux personnes de trouver des bunkers, ou de rester calfeutrées à leur domicile.
            Des couples s’étaient mis à baiser, à l’annonce de ce désastre à venir. Judith, poussée par un instinct, alla dehors, pour rejoindre la marina, juste en face. Le clochard noir se mit en tête de la suivre. S’il devait mourir dans les minutes à suivre, plus rien n’allait arrêter sa grosse bite noire de perforer un vagin ou un cul.

            Dans l’enveloppe de Madame Fringus, des photos de pénis, et aussi une note : « je serai absent demain et après-demain, je reviens vendredi, pour vous servir, ma belle grand-mère». La vieille femme sourit et s’en alla se verser une tasse de thé dans son salon, alors qu’à la télévision, un journaliste accablé terminait sur « Que Dieu nous vienne en aide ! ».

            Le Pasteur éteignit la télévision en sueur et le visage rougit par l’effort physique. Il était nu, et sur l’écran de son ordinateur, une très jeune fille avait la bouche remplie par un pénis noir. Il y avait une date : 21 juin 2015. L’image provenait d’une vidéo mise sur pause. Il regarda par la fenêtre le ciel, noir d’insectes. C’était crépusculaire. Crépusculaire était également son sentiment, alors qu’il sentait son jugement proche, et qu’il venait de passer trois quarts d’heure à se masturber trois fois. Un filet de sperme crémeux tenait sur la tranche de sa main, entre son pouce et son index. Cette fois-ci, il ne trouva pas la force pour pleurer sur son sort, ou bien sur son désir, qui, bien entendu, était des plus pervers. Il pensa à Judith, en se disant qu’il aurait dû l’embrasser dans la cuisine, et que peut-être, avec une gentille fille comme elle, il aurait pu avoir un avenir différent. Ou même passer une  partie de baise satisfaisante à la limite car le corps de Judith était tout à fait attirant, et que, finalement, peu de femmes de son âge étaient réellement répugnantes. Il allait probablement mourir seul, là, dans sa chambre. Avec sur sa commode une croix du Christ en bois posée sur un socle, ornée d’un chapelet noir, protégée de chaque côté par des bougies grises comme des torches gigantesques pour certaines races d’extraterrestres miniatures, encore inconnues ce siècle-là.

            A la marina, Judith regardait l’horizon. On voyait l’immense vague arriver, et personne ne pouvait l’arrêter. Les yachts et les bateaux de pêche tanguaient de plus en plus. Les hélicoptères et les navires de l’armée avaient fui. Les insectes aussi. Le ciel était chargé de nuages gris et noirs. Le vent soufflait de plus en plus fort. Tiède. C’était comme si la Terre et l’Océan se préparaient à un gigantesque rapport sexuel. Le clochard noir aux cheveux et à la barbe très blancs approcha, de toute sa grandeur, de toute sa corpulence. Il pouvait faire tout ce qu’il voulait de Judith, sans qu’elle puisse lui opposer la moindre résistance. Il avança à côté d’elle. Son énorme pénis encore en érection dans son vieux pantalon dégoûtant qui avait une vieille odeur d’excréments. Elle le regarda, il la regarda. Il avait l’œil gauche crevé, rouge et noir, purulent, des larmes jaunes en dégoulinaient et se cristallisaient.
            - On va mourir, dit-il d’une voix rauque. Comme beaucoup d’hommes essoufflés. C’est aujourd’hui que ça s’arrête. On va se noyer. Je n’ai jamais pensé que j’allais mourir comme ça. Je suppose que cela pourrait être pire.
            - Comment vous vous appelez ?
            - Patrick. Mais tout le monde m’appelle Pat.
            - Je m’appelle Judith. Oui, la  noyade… J’aurais tellement préféré mourir dans mon sommeil. Comme tout le monde.
            - Non, répondit Patrick. Il y a des gens qui ne voudraient jamais mourir dans leur sommeil. En douceur. En paix. Non, pas comme tout le monde.

            L’érection de Patrick se ramollissait. Il avait eu toute l’après-midi dans l’idée de violer Judith, de l’obliger à sucer sa grosse bite, d’avaler son sperme et de lui en mettre dans l’anus également pourquoi pas. Pour éviter qu’elle n’aille à la police par la suite, il s’était vu l’étrangler et lui briser sa nuque si fragile et ensuite il s’était déjà imaginé jeter le corps dans une benne à ordures. Mais ses plans avaient totalement changé à présent. Il n’avait plus du tout envie de faire tout ce qu’il avait prévu de faire, tout ce qui lui avait traversé l’esprit. C’était même exactement le contraire dont il avait besoin. Il le remarquait avec soulagement. Oui, une tension était calmée à la vue de cette grande vague, haute de plusieurs buildings il semblait à cette distance.
            Elle lui prit la main, tendrement. Cette tendresse n’avait rien de sexuelle, c’était une chaleur humaine qui était recherchée, comme si elle avait pris la main de son père.
            - Patrick, est-ce que vous me pardonnez ? Pouvez-vous me pardonner ?
            - De quoi ? Demanda le vieux clochard interloqué.
            - Il y a sept ans, il m’est arrivé quelque chose de terrible. Je visitais mes grands-parents, c’était pendant les vacances. Je marchais dans un champ de blé parce que je faisais de longues promenades chaque jour, il n’y avait que ça à faire là-bas. Il y avait à quelques mètres de ce champ, devant moi et l’homme qui m’accompagnait, une voie ferrée. Je venais de cueillir un coquelicot. Le soleil se couchait, il n’y avait que le bruit d’un vent léger et chaud et le chant de quelques cigales. Je portais une robe bleue avec de petites fleurs roses et blanches. L’homme qui était avec moi aimait beaucoup cette robe. J’avais un revolver accroché dans un étui entourant ma cuisse droite j’attendais le bon moment, en me disant, que, cette fois encore, je n’allais pas y arriver. Que j’aurais mieux fait de… D’abandonner. De laisser tomber. Il y avait des tas d’autres hommes décents sur Terre, qui n’attendaient qu’un geste d’amour véritable, bien plus qu’une fellation. Cet homme se plaignait souvent de sa jeunesse perdue. Il disait que c’était comme un rêve qui n’était pas arrivé. Car les rêves ne sont pas réels. Il disait ça et puis soupirait lourdement.
             Nous arrivions aux voies ferrées et c’est là que j’ai sorti mon arme, que j’ai pointé sur sa tête. C’était si facile, il me tournait le dos. Et j’ai tiré. Il s’est écroulé raide comme un piquet. J’ai immédiatement jeté l’arme par terre en ressentant le plus grand sentiment de puissance de toute ma vie. Aujourd’hui je sais qu’il était complètement factice ce sentiment, mais je l’ai tout de même ressenti. Comme une énergie électrique qui partait du cœur et qui vibrait dans chaque membre de mon corps, comme des vagues, des pulsations. Je l’ai regardé trembler un peu sur le sol, face contre terre, il essayait de bouger les mains sans y parvenir. Il était dans une mare de sang. Il respirait mal. La balle était ressortie par son œil droit qui était à moitié sorti. Et puis au bout de cinq minutes, il a cessé de faire du bruit. Il a lâché un dernier souffle effrayant, comme un homme essoufflé qui trouverait brusquement le repos. J’ai besoin d’être pardonnée pour cela. Ce serait bien que vous me pardonniez ce que j’ai fait ce jour-là.
            - Je vous pardonne, dit Pat. Cela n’a plus vraiment d’importance aujourd’hui, mais si vous avez besoin, je vous pardonne.
            Adèle entra dans son appartement qui était complètement remis à neuf. Pas de toiles d’araignées, pas de créature monstrueuse, pas d’amie attaquée. Dans sa chambre, son lit était fait et la pièce avait été nettoyée à la perfection. Un androïde n’aurait pas pu obtenir un tel résultat : tout semblait neuf. Non pas remis à neuf, mais neuf. Pourtant, elle se souvenait des douleurs pelviennes. Elle se souvenait de son ventre qui grossissait à vue d’œil en quelques heures. Elle se souvenait aussi du moment de sa mort. Là, dans ce lit, qui avant, avait quelques fissures sur sa tête faite de bois. Mais désormais, plus de traces, plus rien n’était vraiment pareil. C’était pourtant la même tête de lit. Adèle avait pourtant le même visage, dans le miroir de sa salle de bains.
            Judith ne raconta pas à Patrick qu’elle était retournée dans le champ s’allonger sur le dos, pour se masturber et se caresser, tandis que gisait à quelques mètres de là, le corps de l’homme qu’elle venait d’abattre. Face contre terre. A quelques mètres de la voie ferrée. Peut-être déjà qu’à cette époque, la race d’extraterrestres à têtes de boucs, dans leurs vaisseaux en aluminium, la regardait en train de prendre plaisir à l’acte qu’elle avait commis. Elle qui pensait déjà qu’elle devait tirer le corps sur les rails assez rapidement, positionner la tête comme il fallait, pour qu’un train lui passe dessus. C’était comme de vivre un rêve. Elle avait éclaté de rire plusieurs fois, regardant ses mains en train de trembler.
            Judith remercia Patrick et lui demanda un énième service :
            - La vague ne va plus tarder à présent. Vous voulez bien attendre avec moi ? Ce serait mieux si je n’étais pas toute seule.
            - Je n’ai rien prévu pour demain donc je reste jusqu’à la fin répondit Pat en souriant, dévoilant dans sa dentition pourrie une dent en or massif. Ils ne virent pas passer derrière eux des couples essoufflés qui couraient, horrifiés par la vague, de plus en plus proche, de plus en plus gigantesque, des armadas de flics en protections anti-émeutes qui laissèrent tomber leurs matraques et leur spray à la moutarde pour fuir très loin, des pères et des mères qui perdaient des enfants en bas âge crachant leurs poumons sur les trottoirs, des familles qui se dispersaient sans même chercher à se retrouver, Annabelle qui criait à qui voulait l’entendre que les dauphins s’échouaient par centaines sur la plage, trois chevaux affolés et ensanglantés dont les flancs étaient arrachés, à l’un, on lui voyait même les côtes bien blanches, une clocharde noire avec son caddy qui avait des difficultés pour avancer droit et qu’elle poussait comme s’il n’y avait rien d’autre autour qui existait, une joggeuse avec des feuilles dans les cheveux et des égratignures dans le cou, qui hurlait poursuivie par un homme cagoulé armé d’un énorme couteau de chasse, un photographe, très calme, qui prenait et cadrait la vague et l’agitation humaine en photos, des religieuses qui marchaient rapidement, la tête basse, en rang, des casseurs qui volaient des écrans plats et des fers à repasser flambant neufs, des hordes de chiens qui hurlaient à la mort tout en pissant et chiant partout… Et ce couple d’adolescents qui baisait par terre, à moitié à poils, le garçon presque 17 ans sur la fille, presque 16, qui lui serrait la gorge pour lui provoquer une jouissance encore plus intense au moment fatidique… Ils avaient vu ça sur efukt quelques heures auparavant et avaient eu envie d’essayer. Son corps d’adolescente, c’était particulièrement bon même si elle n’était pas complètement confortable et que son hymen était particulièrement épais, et cela rajoutait à son propre plaisir de jeune homme, c’était la vérité, pour une fois faire l’effort de percer le secret de la vérité, la plupart des hommes se contentant et se rassurant parfaitement d’un trou déjà fait depuis longtemps.
           

            Main dans la main, ils attendaient que la vague gigantesque ne les emporte, sans plus se parler. Il n’y avait plus qu’une seule chose à faire de toute façon. Juste regarder patiemment l’horizon. Alors qu’une bonne centaine d’années plus tard, Adèle, ou ce qui ressemblait à Adèle se regardait avec terreur dans le miroir de sa salle de bains, se souvenant être morte quand son abdomen a éclaté pour donner naissance à un monstre, se demandant ce qu’elle était désormais, et comment l’homme de Sirius avait redonné vie à son corps physique. Judith, elle, pensa que le pardon octroyé par ce clochard était une sorte de grâce, c’était comme si elle allait s’éteindre vierge. Et mourir vierge était peut-être l’une des plus belles choses qu’elle ait jamais accomplie de toute sa si courte existence, considéra-t-elle un instant, de manière un peu loufoque. Peut-être l’avait-t-elle toujours été, vierge, peut-être fallait-il plus qu’une pénétration, ou mille pénétrations, ou qu’une souillure faite par du sperme, pour perdre sa virginité. Si tant est qu’elle existe. Cette idée grotesque la fit sourire, face à la noyade qui se rapprochait inéluctablement à l’horizon, elle se dit combien il était étrange que cet homme qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam apparaisse à cet instant, à ce moment précis de la fin. Qu’il apparaisse pour entendre son histoire ô combien encombrante, comme quelques lourds bagages à tirer partout avec soi. Peu importait tout cela de toute façon, main dans la main ils attendaient que la vague gigantesque n’emporte leurs consciences, en silence, puisqu’il n’y avait plus qu’une seule chose à faire, et cette chose demandait pourtant un effort physique et concret tout à fait particulier, un effort que par le passé, Judith n’avait pas toujours su soutenir : juste regarder patiemment l’horizon. 

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