Le vent soufflait sur le désert dans la vallée de l'Ounila.
A travers la vitre sale, Joey regardait dans les volutes de sable soulevées par le vent, distinguant parfois l'espace d'un instant le mirage de la silhouette d'êtres humains venus les voir, témoin d'une lueur d'espoir en elle qui refusait de mourir. L'espoir qu'on puisse venir la chercher, de ne pas avoir été totalement oublié. L'espoir d'une renaissance.
Le vieux studio de cinéma, devenu un temps attraction touristique n'attirait plus personne. Il ne servait plus que d'entrepôt désormais, de remise qui n'osait pas dire son nom, de décharge pour Joey et ses semblables, les stars déchues et oubliée.
Trois siècles plus tôt, les acteurs étaient pour la plupart devenus des robots. Propriété légale des grands studios, conçus et construits pour plaire aux goûts du public du moment, certains de ces êtres artificiels avaient vraiment connus leur heure de gloire, même si la plupart n'avait connu qu'une carrière tranquille et peu remarquée, assez longue même parfois, jusqu'à ce qu'ils deviennent immanquablement ringards, dépassés et obsolètes. Une règle tacite dictait que plus ils étaient populaires, plus vite ils étaient remisés. En les surexposant abusivement au pic de leur célébrité, les studios saturaient le public avec ces acteurs jusqu'à l'écoeurement le plus absolu. Les gens s'en lassaient alors, les critiques ne pouvaient pas s'empêcher de voir et de souligner tous leurs tics de jeux et ils étaient remisés.
C'était toute l'ironie de la chose, les moins remarquables et les moins talentueux duraient plus longtemps. Leur carrière finie, ou plutôt, pour utiliser l'euphémisme favori des studios, ralentissant, ils étaient le plus souvent d'abord remisés dans des parcs d'attraction à touristes ou des musées afin de profiter du reste de leur popularité avant qu'elle ne disparaisse tout a fait. Mais là, aussi, il fallait tôt ou tard laisser la place aux nouveaux arrivants, et ils se trouvaient remisés de plus en plus loin.
La plus grande cruauté était de ne jamais être définitivement éteint ou jeté. Toujours, ils appartenaient au studio, toujours on leur laissait miroiter l'éventualité d'un come back. On leur disait qu'ils pourraient servir a nouveau, tôt ou tard, il fallait juste être patient.
C'était une torture cruelle, l'attente, et l'espoir.
Toujours, tous entretenaient et fixaient le vieux vidéophone de l'entrepot. Tous s'assuraient à leur tour qu'il marchait bien toujours. Pour un rôle. Un travail. Ils étaient dans leur banque de données, ils avaient leurs coordonées. Ils leur appartenaient. Alors, ils finiraient bien par les rappeler. Sinon, a quoi bon les stocker ? Pourquoi ne pas les vendre, les donner à la charité, ou bien encore en faire des pièces détachées ?
Non, ils les gardaient, donc un espoir, un mince espoir subsistait.