L’Enfance des comptes
PETIT Conte pour enfants et adultes
Il était une fois l’enfant qui
jouait au bord de la plage, matin, midi et soir. Il ramassait des galets les
matinées brumeuses, des coquillages les après-midis pluvieuses, et du sable
étincelant sous la lumière des pleines lunes quotidiennes. Il vivait dans une
grotte, dans le sein de la falaise. Lorsque le ciel virait au jaune, et que la
pluie tournait à cette couleur, il se réfugiait rapidement, car il savait
d’expérience que la pluie jaune brûlait la peau, plus vite et plus fort que
tout le sel de l’océan ne pouvait le faire avec le vent et le contact prolongé
avec l’eau. Les cicatrices sur sa nuque et ses joues étaient là pour en
témoigner. Parfois, ces cicatrices devenaient sensibles, et cela faisait pleurer
l’enfant, seul dans sa grotte humide et sombre, avec pour seule compagnie un
plafond parsemé de pierres étincelantes, qui tentaient de copier la nature et
le visage même du ciel nocturne.
L’enfant regardait pendant des
heures les fausses étoiles, parce qu’elles étaient irrésistibles, qu’elles
attiraient toute son attention et qu’il n’y avait qu’elles.
Pour occuper ses journées, l’enfant dessinait
des hippocampes géants dans le sable de la plage. Pour ce faire, il utilisait
un bâton avec une pierre taillée au bout, étincelante comme l’intérieur de sa
grotte. La pierre était attachée au bout de bois avec du cartilage de poisson
tressé. Comme l’on peut s’en douter, il n’avait pas de mots pour décrire les
hippocampes, lui. Ces traits, ces courbes et ces formes dans le sable étaient
décorés de coquillages et de galets. Ses œuvres se terminaient lorsqu’il
montait sur la falaise, pour les voir de haut, dans un ensemble, chose qu’il ne
pouvait faire sur place. Avec son bâton toujours à la main, comme un marcheur
soucieux de son point d’appui. En hauteur, ce qu’il voyait tout en bas le
faisait sourire. Ces sillons maladroits mais ingénieux lui donnaient une
sensation étrange de satisfaction. C’était un sentiment de contentement, car
chaque soir, les vagues montaient, effaçaient jusqu’au dernier trait, et cela lui
donnait l’envie de pleurer. Alors il recommençait chaque jour à dessiner dans
le sable avec le bout de son bâton, et le lendemain aussi, et le surlendemain
aussi. Et les vagues recommençaient toujours à monter, et à tout effacer, pour
laisser de nouveau, une surface lisse, sans aucune marque. Et l’envie de
pleurer, au fur et à mesure, ne devenait qu’un lointain souvenir, dépassée par
l’envie de recommencer mieux, plus grand, et plus fort.
Chaque matin, l’océan, dans sa
grande générosité, donnait avec l’attention d’un père, un panier rempli de
poisson frais posé devant l’entrée de la grotte qui servait de maison à
l’enfant. Il remerciait ce père d’un grand cri vers le large, car chaque panier
lui permettait de subsister pendant deux semaines.
Il allumait un feu et grillait les
poissons morts entre deux feuilles récupérées dans la forêt tout en haut de la
falaise. Parfois, il ajoutait quelques champignons, ou quelques insectes à la
carapace noire qui croustillait sous la dent. L’enfant aimait particulièrement
le goût de viande qui se libérait alors du jus qui en jaillissait. Avant de
cuire ces insectes, il prenait soin d’arracher une à une leurs petites pattes.