dimanche 28 avril 2013

Rock'n'rollocaust : Cène sanglante [Maniak]


Is that the meat, you wanted to eat,
How would you ever know?
Hash browns an' bacon strips,
I love the way that you lick your lips,
No fooling, I can see you drooling,
Feel the hunger grow.

Eat The Rich – Mötorhead


            Les lumières s'éteignent. Seul au milieu d'une foule de barbares harnachés de noir, Sorel écoute les hurlements sauvages qui naissent tout autour de lui. Le sol est rendu collant par les libations alcoolisées. Les vapeurs d'alcool, de tabac froid et de sueur s'engouffrent dans ses narines. Un mélange d'excitation et d'appréhension fait vibrer ses entrailles. L'attente plane dans tous les esprits et chaque regard est braqué sur la scène plongée dans l'obscurité et dans le brouillard artificiel. Entre deux nébulosités, on y distingue des silhouettes plus denses qui s'affairent. La salle retient son souffle. Quelques-uns sifflent. L'audience piaffe d'impatience.
            Et d'un coup, les spots se rallument et projettent une lumière crue sur l'estrade. Cris. Applaudissements. Trois hommes font face à leur auditoire. Le groupe savoure son entrée. Les techniciens branchent les amplis. Larsens. Stridulations. Le chanteur s'approche du micro, il éteint sa cigarette avec une nonchalance calculée et s'adresse à son public. Sa voix rocailleuse retentit, amplifiée et distordue.
« … and we play rock'n'roll ! » C’est le signal du départ. Un immense grondement électrique ondule dans l'air. C’est le beuglement d'une basse qui sonne comme mille guitares. Le chaos naît de la musique et contamine chaque spectateur. Sorel est au milieu de tout ça. Cent quatorze décibels de rock'n'roll font exploser ses tympans et la limite légale du volume sonore. Le son des guitares sature tout son être. Ses tripes tressaillent de plus belle. Son corps est malmené par les étreintes bovines de ses voisins. Des embruns de bière tiède constellent son visage. A coté de lui, un vieux fan éructe. « Got' la vache ! Ça c'est de la musique ! Clair, net, précis ! ». Il a la barbe grisonnante et ses cheveux s'agitent en rythme. Comme lui, d'autres manifestent la joie primitive qui les habite. Au pied de la scène tout n'est que tourbillon de tignasses épaisses, de membres agités et de bourrades viriles. De temps à autre le claquement sec et mou de la chair contre le béton propage à toute vitesse son onde de choc au sol. Sorel en tremble. Mais déjà le fêtard qui a chuté est relevé par ses camarades et la bousculade reprend de plus belle. Les titres s'enchaînent. Le groupe est en forme ce soir.
            Sorel s'éloigne du concert et sort, étourdi par les acouphènes. Dehors tout est calme. La nuit est froide. Quelques rares passants se hâtent de rejoindre leurs foyers. Deux vigiles fument leurs cigarettes devant les portes d'entrée ornées d'affiches. Personne ne fait attention à Sorel qui contourne le bâtiment pour se poster prêt de la porte de derrière. Il se cache entre la silhouette massive du tour-bus et son propre véhicule. Il attend. Il a un attendrisseur à viande à la main.
            Les derniers morceaux lui parviennent de manière étouffée. Le concert se termine. Une salve d’applaudissement et de cris retentit. Puis le silence s'installe à nouveau. Sorel souffle dans ses mains pour les réchauffer et tourne sur lui-même, impatient. De l'autre coté de la bâtisse, les gens rentrent chez eux ou finissent la soirée sur le trottoir en compagnie d'une bouteille. Sorel attend toujours. Plusieurs fois, la porte de derrière s'ouvre, projetant un faisceau de lumière sur le parking. Des gens sortent, mais ce n'est jamais l'occasion pour laquelle Sorel patiente.
            Et soudain c'est le moment. Trois silhouettes viennent de sortir de l'édifice. Un réverbère jette sur eux son éclairage orange. Sorel identifie le chanteur du groupe à sa haute stature et à sa moustache taillée à la gauloise. Il a une bouteille de Whisky déjà bien entamée à la main. Deux jeunes filles dont les vêtements noirs et luisants moulent les formes l'accompagnent. Leurs yeux et leurs bouches traduisent un désir manifeste. Elles n'étaient pas au programme, mais tant pis, c'est trop tard pour reculer. Le musicien et ses groupies rient et titubent vers le bus. C'est le moment que choisit Sorel pour surgir et abattre son maillet de toutes ses forces derrière le crâne du rockeur. Un coup suffit. Un craquement mouillé retentit et le géant s’effondre au sol. L'idole entraîne ses deux groupies dans sa chute. Elles se tortillent au sol. Sorel ne perd pas un instant : son marteau en inox enfonce le nez d'une des filles très profond dans sa tête qui se remplit de sang. L'autre fille crie. Sorel lui fait un trou bien rouge et bien carré en plein milieu du front. L'attaque a duré moins d'une minute et l'agresseur est calme. Il ouvre les portes arrière de sa fourgonnette et charge les trois corps à l'arrière du véhicule.

***

Les aventures de Clothain et Chagane [Gallinacé Ardent]


LES AVENTURES DE CLOTHAIN ET CHAGANE
Pour Harley.

Sa croupe se recourbe en replis tortueux.
(Racine, Phèdre)

Grande Dalle du Mirail, Toulouse, samedi après-midi.

Il y a deux hommes désœuvrés nonchalamment assis sur les escaliers entre la fac et le quartier résidentiel. A leurs côtés, un poste de radio qui joue Cheri cheri lady de Modern Talking.

Deux hommes qui se sont réunis là afin de, je cite, « choper de la fouffe ».

[Oh I can't explain, every time it's the same...]

Le plus vieux s’appelle Clothain. Un grand escogriffe blanchâtre dépourvu de cheveux, les lunettes noires achetées pour deux pièces au discount du coin. Il s’étale sultanesquement sur les marches sales. Le tissu blanc de son débardeur pend comme un chiffon sur une poitrine imberbe, comme rétrécie au lavage. Heureusement, il a un peu de touffe aux aisselles pour compenser son absence de pilosité : mais les quelques poils épars et timides ont plus l’air de vermicelles marronâtres et séchés que de toison de mâle alpha.

En ce moment, il a le rictus satisfait du bronzeur urbain. Le soleil du mois de mai, comme un sèche-cheveux tentant sans succès de brunir un cachet d’aspirine, lui chauffe son corps pâle, dévitalisé, à la musculature rétrécie, fondue.

En face de lui, son acolyte, Chagane s’est levé. Il a vu une Femme.

Femme. L’information traverse les couches inférieures de la masse cervicale, et déclenche un réflexe quasiment pavlovien : le mot « chatte », réitéré mécaniquement. Le temps que la donzelle passe, Chagane l’a poursuivie de son cliquetis verbal « chatte-chatte-chatte-chatte-chatte », la lippe humide, la truffe dilatée, l’œil exorbité. La passante l’a superbement ignoré. Elle aura juste eu le temps de jeter un regard de mépris pour son agresseur. Un regard de mépris sur ce corps adipeux qui rentre à peine dans sa chemise à carreaux, ce nombril obscène en forme d’hémorroïdes, oasis d’une jungle de poils ventraux. Un regard de mépris pour ces bajoues de hamster surmontées de grosses lunettes aux verres épais, gratifiant le porteur d’un regard écarquillé de tortue sous datura. 
Un regard de mépris pour l’autre gars derrière, l’allumette aux velléités de caïd, qui se vautre comme une loutre bourrée sur le béton du Mirail, et qui lui grasseye avé l'assent

«Tu veux qu'on en parle ? T'as un numéro de téléphone ? Tu as la chatte bombée ou plate ? » Losers.

Ces deux messieurs, Clothain et Chagane, sont malades de la bite. Viscéralement. La leur est un petit organe esseulé, apeuré. Il se tapit dans le nid des poils pubiens, prêt à fuir dans sa cachette au moindre danger, mais désespérant d’en sortir et d’explorer le vaste monde.

samedi 27 avril 2013

SCROFANOVAX [Gallinacé Ardent]


SCROFANOVAX

Au milieu d’un tas de souvenirs pourrissants,
comme, au restaurant, lorsqu’un garçon vous fait la note
et énumère, à vos oreilles écœurées,
tous les plats que vous digérez déjà depuis longtemps
(B-M Koltès)

PAPA, c’est quelqu’un. Avec ses petites mirettes de furet engoncés dans le repli des paupières, le nez exponentiel, la bouche épaisse et luisante comme du cirage, les bajoues parsemées de poils solitaires, il fend son chemin dans le monde. C’est la personne la plus décidée que je connaisse. Tout file droit.
La plupart du temps, il hurle des ordres. Fais ci, fais ça. Ta gueule. Tu nous les casses. Fils de pute (là, Maman rigole en toussant). La claque part souvent, administrée avec ses gros doigts de scolopendres boudinés et huileux. J’ai alors la joue chaude comme si j’avais mis mon visage contre la vitre du four. Ou bien, variante, c’est le coup de pied au cul, comme un mouvement réflexe, paf dans le gras de la fesse.
Par contre, quand Papa commence à picoler, il sait tout sur tout, il vous explique ça avec les pupilles un peu dilatées, qui tremblotent comme de la gelée dans le blanc d’œuf de ses yeux. Et comme il picole souvent... C’est dans ces moments-là, c’est dans la beuverie qu’il veut à toute force démontrer les grands mystères de l’univers. Les bougnoules, les pédés, les politicards de merde, les assistés, c’est un festival, tout le monde y passe, en rangd’oignons, alternativement, de l’un à l’autre (les frontières sont poreuses). Décidément, la Terre est peuplée de bien vilaines personnes. Quand Papa a bu, c’est le seul moment où il me parle normalement. Il me prend par le bras (il serre un peu fort), décidant soudain que je suis en mesure de comprendre des notions très avancées pour mon âge : les origines des inégalités parmi les hommes, par exemple. Le problème est que sa parole se liquéfie progressivement, à mesure de l’alcool ingurgité. A la fin ce n’est plus qu’un clapotis caverneux traversé d’éruptions sonores. Il finit par s’endormir, le front contre le bois de la table.
Et puis de temps en temps, il est pris de bouffées de tendresse, et alors il faut toujours qu’il me bave dessus, m’embrasse et frotte le papier de verre de sa joue contre mon visage. Je n’aime pas trop ça : d’ordinaire, j’ai toujours envie que mon père me prenne dans ses bras, soit tendre avec moi. Mais quand il m’enserre comme ça, comme un grand orang-outan murgé, je veux juste me libérer (il me fait mal). Mais quand je veux partir, quand je me débats, il se met à couiner : « Mwais pourquoi t’veux pas qu’j’te serre dans les braaaaaaas ». Il essaie de me retenir de ses doigts graisseux, mais je file, je me claquemure dans ma chambre. Il ne rentrera pas. Alors je l’entends beugler : « Fiiiils indigne ! » Il tape sur le chambranle. Je tremble. Je me bouche les oreilles. Je rentre en moi. J’oublie. Je m’écroule de fatigue. Des fois, je me réveille sur le tapis, le lendemain matin. Je n’ai pas eu la force de me glisser dans mes draps. Papa me pompe mon énergie. L’éviter me prend du temps.
MAMAN, c’est quelqu’un aussi. Elle a des yeux remplis d’ombre, une peau parcheminée, sèche comme du papier à cigarette (on a beau lécher sa joue – j’ai essayé –, ça ne s’humidifie pas plus). Elle a une voix qui descend dans les mines de charbon : un grincement de rocaille dans une carrière à ciel ouvert. Elle fume, aussi. Beaucoup beaucoup beaucoup. Et elle tousse. C’est comme un pot d’échappement qui brinquebale. Ses poumons sont macadamisés au possible. Elle a aussi des cheveux épars, des mèches ébouriffées qui ne se décident pas à faire toison : ça fait vieille chouette déplumée. Entre moi et moi (c’est mon secret), je l’appelle : Maître Hibou. Comme dans la série. Elle aussi, elle crie. Moins que Papa : quand elle pousse un peu trop la voix, la toux la coupe, et elle se met à cracher, les épaules secouées, la bouche comme les crapauds des reportages télé National Geographic.
Alors je grandis là-dedans, moi.
Je suis fils unique, il n’y a personne pour prendre les coups à ma place. Ou au moins répartir. J’aimerais bien avoir un petit frère, histoire qu’on partage un peu les taloches. Et puis que ce soit lui, un peu, qui se fasse serrer par Papa bourré. Moi j’aurais Papa seulement lorsqu’il serait à jeun. Mais quand il a bu, c’est un animal malodorant traversé d’échauffements, ça bouillonne là-dedans, il bave et grogne.
Drôle de Papa. Parfois j’aimerais qu’il crève.

Le Grand Processus Invariable [Mac Ready]


1
La vieille femme regardait son fils. Ses yeux bleus, un peu délavés avec l’âge, avaient conservé cette capacité à lui filer des frissons, même après tout ce temps. Un regard qui le transperçait. Un regard qui l’avait toujours transpercé. Même aujourd’hui, alors que la vieille était reliée à un nombre conséquent d’appareillages médicaux, elle gardait intacte sa capacité à imposer son autorité.
Elle releva d’une main à peine tremblante le petit masque de l’appareil respiratoire et murmura :
-         « Ils vont te bouffer tout cru, mon fils.  Ils vont te bouffer tout cru… »
Damien avait entendu cette litanie toute sa vie. Le Grand Processus Invariable, pensa-t-il. Un processus visant essentiellement à le couper de tout, et à le ramener dans le giron maternel. Eux contre le monde, et rien d’autre. Ils vont te bouffer tout cru, mon fils. Comme dans un conte de fées, où le monde ne serait qu’une vaste forêt uniquement peuplée de loups affamés, aux longues dents acérées. Ils vont te bouffer tout cru.
-           « Je sais, maman. Tu avais raison. Tu as toujours eu raison. Mais pas cette fois, répondit-il. Ils ne me boufferont pas, maman. Pas encore. Pas cette fois. »

2
Damien dominait la scène assis sur son trône, posé au fond de la pièce. Une pièce vide de mobiliers et où seuls quelques tapis et autres futons la composaient. Il sirotait un verre. Il contemplait l’amas de corps gigotant. Il se délectait de la musique des extases, des petits gémissements timides, et des débordements grossiers aussi. Il était entièrement nu. Tout comme ses invités. Une trentaine, avait-il compté. C’était un bon chiffre. Il avait commencé à organiser des orgies dés les premières années de son succès.  Tout d’abord de manière totalement improvisée – partouzes entre le groupe et les plus belles et coquines de ses fans, dans les loges, après concert – puis de manière beaucoup plus ritualisée. Mélanger de la chair est un art, s’amusait-il à dire. Et cette soirée allait être son chef-d’œuvre.  
Une femme – une petit trentaine, belle à se damner, sans doute droguée jusqu’aux yeux – s’avançait jusqu’à lui à quatre pattes, posant sur lui des yeux de panthère. D’un œil distrait, Damien l’observait. Arrivée à sa hauteur, elle s’empara de son sexe et se mit à le sucer un peu. Damien lui releva le visage, se pencha pour mieux l’embrasser, et la repoussa avec un petit sourire. Visiblement déçue, la femme fit marche arrière et, toujours à quatre pattes, repartit vers les festivités. Une trentaine de seconde plus tard, elle suçait quelqu’un d’autre (un de ses producteurs, reconnu Damien), tout en se faisant prendre en levrette  par un petit gros. (une de ces célébrités du net, qui postait des vidéos de lui critiquant, avec un humour à la con, les disques du mois). Intérieurement, Damien s’esclaffait. Comme voilà une scène pleine de vérité, pensa-t-il. La femme était une journaliste papier reconnue. A croire que sucer un producteur tout en se faisant baiser par un blogueur était finalement inévitable, pour elle. En tout cas, elle semblait apprécier. C’était déjà ça.
Les soirées de Damien avait acquis au fil du temps une certaine notoriété, et cela même avant l’Affaire, à la fois dans le milieu de la musique (il n’était pas rare qu’une des techno-lolitas à la mode y fassent des apparitions)  que dans le milieu plus général de la nuit. D’habitude les règles d’admission étaient strictes. Mais ce soir était une exception. Il avait décidé d’inviter plus de monde : producteurs, journalistes et blogueurs, donc, mais aussi deux ou trois animateurs télé et radio, quelques minettes présidant le Club Officiel de ses fans, ce genre de trucs. Toutes ces personnes - et même si certaines ne s’étaient pas privé de lui cracher à la gueule dans leurs chroniques (ils vont te bouffer tout cru, mon fils…) – toutes désiraient secrètement participer à ses soirées. Il avait décidé de pas les décevoir cette fois.  Ce soir serait son chef-d’œuvre. Il avait tout planifié depuis des mois.
Sans s’en rendre compte, Damien caressa le petit bouton rouge de la télécommande qui reposait sur son accoudoir ; et, devant le spectacle de la chair s’excitant avidement, dans une association d’idée qui n’aurait pas manqué de faire sourciller son psy, Damien repensa à sa mère.

jeudi 11 avril 2013

Margygr [Nosfé]


Nous étions six à bord.
Les deux pilotes, deux techniciens de forage, Monsieur De Villière et moi-même. Le reste du chargement de l'hélicoptère consistait en une tonne et demi de matériel et de vivres.
La carcasse du Sikorsky vibrait au rythme du rotor et des bourrasques de vent qui le bousculaient.
Je m'agrippais ainsi régulièrement à mon siège, moi qui n'avais eu que notre vol à destination d'Oslo, il y a trois jours, en guise de baptême de l'air...
Mon angoisse amusait De Villière. Stoïque, droit comme un i, les mains posées sur le pommeau d'argent de sa canne, sa parka à bandes fluo ouverte sur un costume griffé, il m'observait de ses petits yeux rouges, esquissant par instant un sourire narquois. Son albinisme, cette peau trop claire marquant exagérément la moindre expositions aux éléments, ses cheveux blancs lui donnaient l'air d'un vieillard malgré ses 42 ans. Fringuant, mais vieux.
D'autant qu'il fallait ajouter cette canne qui ne le quittait plus depuis quelques années. Une mauvaise chute lors d'une expédition en montagne, la jambe gauche broyée, et trop de temps mis à redescendre jusqu'à un hôpital digne de ce nom...
Cela faisait maintenant deux semaines que je travaillais pour lui. Quand j'avais annoncé à mes professeurs que je quittais la fac de biologie pour entrer à son service, ils avaient été étonnés, mais avait également bien ri. Si François De Villière était pour beaucoup une référence en matière de zoologie, d'étude et de recherche d'espèces nouvelles, beaucoup voyaient aussi en lui un illuminé, un rentier qui dilapidait sa fortune familiale à courir après des chimères appelées Yétis, Chupacabras et autre Dahus.
La cryptozoologie, voilà quelle était sa spécialité, voilà dans quel domaine j'allais me spécialiser auprès de lui.
"We're there in five minutes" hurla un des pilotes en notre direction avant d'annoncer notre arrivée, cette fois sur le ton de la conversation, par radio.
Je me penchai pour regarder au travers du cockpit. Malgré la purée de pois, on distinguait la ligne d'horizon, séparant le ciel de l'océan et, sur celle-ci, un amas de point lumineux jaunes et rouges.
Notre destination.
La plate-forme pétrolière Odysseus 3.

lundi 8 avril 2013

Le Corps et la Main [MacReady]

1

Comme une bulle de savon flottant dans un monde trop rigide, La Main s’envolait à travers le monde. Un monde tangible où elle récoltait et moissonnait. Son immatérialité lui offrait une liberté totale, et elle pouvait à loisir sonder les corps et les âmes, pénétrant ainsi l’essence même de ses proies. Elle ne pouvait se souvenir de l’instant où elle avait pris conscience d’elle-même - l’indépendance se fait parfois sans que l’on s’en rende compte - mais elle savait que la nourriture que Le Corps l’envoyait quérir l’avait sans aucun doute modifiée. Elle ne pouvait savoir ce que ses sœurs attrapaient – elles étaient si lointaines, se répandant à travers le cosmos, moissonnant des mondes aussi exotiques que bizarres – mais les proies qu’elle avait été chargée de chasser avaient une capacité inépuisable à se construire en fonction d’une chose magnifique pour elle : des émotions. Cela facilitait la capture, mais ça l’avait transformée inexorablement. Après tout, elle chassait sur Terre depuis des éons, et l’on devient toujours ce que l’on chasse.
S’engouffrant à travers une des strates de la réalité ouverte par Le Livre, La Main repéra sa prochaine victime. Elle avait cette caractéristique qui l’avait poussée à l’appeler. Beaucoup de peine, mais énormément d’espoir. L’espoir de liberté. Et d’apaisement, peut-être. L’humanité était fascinante. Tellement insatiable. Tellement prompte à vouloir s’élever. La Main avait appris à les aimer. Des singes parlants voulant tutoyer les anges. Ils étaient si beaux. On devient toujours ce que l’on chasse, La Main prit forme en conséquence.
Sans difficulté, comme des muscles habitués aux contractions, elle se confectionna un corps masculin. Au fil du temps l’opération se faisait sans réflexion aucune, presque automatiquement. Pourtant, elle mettait un point d’honneur à réaliser de la plus subtile des manières ce qui, comme elle le pensait, la définissait elle-même : les mains. Ces appendices l’emplissaient d’admiration. Des outils à la simplicité extrême en comparaison d’elle-même, mais si symptomatique de ce peuple en quête de maîtrise, et si représentatif de leurs émotions et de leur capacité à la sensualité.
Une fois le corps complété, La Main se regarda. Elle était fière d’elle. Un instant elle se laissa emplir de la dureté mêlée de douceur de sa substance devenue maintenant physique. Un millier de sensations l’emplissaient complètement, comme une ivresse difficilement maîtrisable. Mais elle avait l’habitude. Et elle avait une mission. Une mission définissant son existence.
Oui elle avait conscience d’elle-même et acquis une certaine forme d’indépendance, mais, après tout, elle n’était qu’un outil. Et cela lui convenait.
Ouvrant les yeux, La Main-faite-homme posa son regard sur la victime : une femme – assise en tailleur, Le Livre posé sur les jambes – écarquillant les yeux devant cette apparition soudaine et inespérée.