lundi 11 mars 2013

Clic 7 [Nosfé]



Nous attendons.
Derrière, dans le long tunnel de caoutchouc, dans cette forêt de fils rouges, aucun signe d'activité. Devant nous, le vide. Et cette langue de métal, là, si loin, perdue dans l'éther, qui nous nargue.
Dans notre cage de plastique, somnolant, nous attendons.
« CLIC ! »
J'avais ressenti le frisson, derrière la paroi. Nous l'avions tous ressenti. Nous avions entendu le contact de cette vie derrière l'interrupteur. « Clic ». Oui, nous sommes prêts.
Il a basculé. La langue s'approche, vient vers nous, touche le couloir de métal dans lequel nous patientions. Le laiton touche le laiton. Nous nous élançons.
L'appel, l'aspiration devant nous. Et la masse de tous les autres derrière, poussant, remontant le couloir de cuivre. Nous courons, fou, ivre de notre propre énergie.
Nous courons, à l'aveugle, à la vitesse de la lumière. A notre vitesse.
Où allons-nous ? Que nous réserve la sortie, la fin du fil dans lequel nous évoluons ? La vie d'électron réserve tant de possibilités, tant de perspectives ! Tant de manières de mourir, ou d'agonir magnifiquement ! Ho, que ne sommes-nous pas nés d'un orage, que n'avons nous pas traversé les nues, que ne nous sommes nous pas consumés d'un éclair tonitruant !
Mais courant ainsi les circuits électriques, domestiqués que nous sommes, nous n'avons pas moins d'aventures. Si les moteurs électriques n'offrent guère de réjouissances, sinon celles d'un carrousel en mouvement, et le frisson d'un contact avec le vide, l'air libre, et si les circuits électroniques, informatiques sont une manière de torture, à ainsi nous tordre, nous comprimer, nous écarteler, nous nous réjouissons des écrans, qu'il s'agisse de tubes cathodiques ou de plasma. Foncer ainsi, et s'écraser contre la paroi lumineuse ou y courir tout du long, quelle expérience ! Faire la course, tous ensemble, dans un même élan, et communément crée une image immense, devenir chacun lumière, point lumineux, pixel !
La fin du fil est là, devant moi. Le contact de cuivre, le domino. Morceau de laiton, lames, contact. Nous courons de l'un à l'autre.
Oui ! Oui ! C'est un culot d'ampoule ! Oui, une lampe à incandescence, à l'ancienne ! Le fil se rétrécit, mais ça pousse derrière. Nous avançons toujours. Nous sommes trop nombreux dans l'étroit filament; ça pousse, ça se bouscule, ça chauffe. Ça éclaire. Nous nous consumons, d'un même effort, d'une même agonie magnifique et luminescente. Nous parcourons les quelques centimètres, les quelques enroulements de fil étroit vite, trop vite, mourant peu à peu.
D'ici, à notre propre lumière, nous voyons le monde.
Au-delà du vide, au-delà de la paroi, de ce globe de verre qui le déforme à notre vue, le monde extérieur.
Une salle, des murs, des objets, des meubles. Un être humain, grand, bougeant, vivant. Plein lui-même d'une électricité dont il n'a sans doute même pas conscience.
Déjà, nous remontons, moins nombreux, du filament, et nous repassons dans un nouveau fil, un nouveau conduit de cuivre, gainé de plastique.
« CLIC ! »
L'humain est sorti de la salle. Nous ralentissons. L'appel devant nous faiblit, la pression derrière aussi. Des chanceux restent là-bas, immobiles, à l'étroit dans le filament, mais avec tout le loisir de contempler le monde, cette salle, cette pièce redevenue sombre sans nous.
Nous nous arrêtons.
Nous attendons.
Le prochain « clic » de l'interrupteur. La prochaine course vers notre prochaine agonie collective.
Nous attendons.

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