Nous
attendons.
Derrière,
dans le long tunnel de caoutchouc, dans cette forêt de fils rouges, aucun signe
d'activité. Devant nous, le vide. Et cette langue de métal, là, si loin, perdue
dans l'éther, qui nous nargue.
Dans
notre cage de plastique, somnolant, nous attendons.
« CLIC
! »
J'avais
ressenti le frisson, derrière la paroi. Nous l'avions tous ressenti. Nous
avions entendu le contact de cette vie derrière l'interrupteur. « Clic ». Oui,
nous sommes prêts.
Il
a basculé. La langue s'approche, vient vers nous, touche le couloir de métal
dans lequel nous patientions. Le laiton touche le laiton. Nous nous élançons.
L'appel,
l'aspiration devant nous. Et la masse de tous les autres derrière, poussant,
remontant le couloir de cuivre. Nous courons, fou, ivre de notre propre
énergie.
Nous
courons, à l'aveugle, à la vitesse de la lumière. A notre vitesse.
Où
allons-nous ? Que nous réserve la sortie, la fin du fil dans lequel nous
évoluons ? La vie d'électron réserve tant de possibilités, tant de perspectives
! Tant de manières de mourir, ou d'agonir magnifiquement ! Ho, que ne
sommes-nous pas nés d'un orage, que n'avons nous pas traversé les nues, que ne
nous sommes nous pas consumés d'un éclair tonitruant !
Mais
courant ainsi les circuits électriques, domestiqués que nous sommes, nous
n'avons pas moins d'aventures. Si les moteurs électriques n'offrent guère de
réjouissances, sinon celles d'un carrousel en mouvement, et le frisson d'un
contact avec le vide, l'air libre, et si les circuits électroniques,
informatiques sont une manière de torture, à ainsi nous tordre, nous comprimer,
nous écarteler, nous nous réjouissons des écrans, qu'il s'agisse de tubes
cathodiques ou de plasma. Foncer ainsi, et s'écraser contre la paroi lumineuse
ou y courir tout du long, quelle expérience ! Faire la course, tous ensemble,
dans un même élan, et communément crée une image immense, devenir chacun
lumière, point lumineux, pixel !
La
fin du fil est là, devant moi. Le contact de cuivre, le domino. Morceau de laiton,
lames, contact. Nous courons de l'un à l'autre.
Oui
! Oui ! C'est un culot d'ampoule ! Oui, une lampe à incandescence, à l'ancienne
! Le fil se rétrécit, mais ça pousse derrière. Nous avançons toujours. Nous
sommes trop nombreux dans l'étroit filament; ça pousse, ça se bouscule, ça
chauffe. Ça éclaire. Nous nous consumons, d'un même effort, d'une même agonie
magnifique et luminescente. Nous parcourons les quelques centimètres, les
quelques enroulements de fil étroit vite, trop vite, mourant peu à peu.
D'ici,
à notre propre lumière, nous voyons le monde.
Au-delà
du vide, au-delà de la paroi, de ce globe de verre qui le déforme à notre vue,
le monde extérieur.
Une
salle, des murs, des objets, des meubles. Un être humain, grand, bougeant,
vivant. Plein lui-même d'une électricité dont il n'a sans doute même pas
conscience.
Déjà,
nous remontons, moins nombreux, du filament, et nous repassons dans un nouveau
fil, un nouveau conduit de cuivre, gainé de plastique.
« CLIC
! »
L'humain
est sorti de la salle. Nous ralentissons. L'appel devant nous faiblit, la
pression derrière aussi. Des chanceux restent là-bas, immobiles, à l'étroit
dans le filament, mais avec tout le loisir de contempler le monde, cette salle,
cette pièce redevenue sombre sans nous.
Nous
nous arrêtons.
Nous
attendons.
Le
prochain « clic » de l'interrupteur. La prochaine course vers notre prochaine
agonie collective.
Nous
attendons.
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