lundi 17 décembre 2012

La panique des aveugles [Monty]




Dans la banlieue londonienne, un chauffeur de taxi traque les rues à la recherche de client. Son taxi indépendant est décoré de la culture pakistanaise du conducteur.
Un soir à l'angle d'une rue, entre un ancien disquaire et un barbier. Un homme entre 25-30 ans lui fait signe. Il s'arrête, le jeune homme s'installe sans dire un mot, il tend un bout de papier. Le chauffeur déplie le document et commence l'itinéraire vers l'adresse inscrite. Ce dernier tente d'échanger quelques mots de courtoisie, mais ce client ne laisse filer aucun son et semble pressé. L'adresse mène vers les beaux quartiers du comté de Kent au Sud-Est de Londres. On y voit plus de limousines avec chauffeur que de taxis. Arrivé à destination, le véhicule s'arrête avant l'entrée d'un grand portail, suivi d'une grande allée. Le chauffeur observe les fenêtres éclairées du manoir, le bâtiment est situé au milieu du domaine. Le jeune homme paye et promet un supplément pour l'attendre. Le conducteur propose de le déposer jusqu'au manoir, mais le client refuse, justifiant que l'accès est privé. Le chauffeur de taxi le regarde s'éloigner dans la pénombre en direction de l'édifice.  
Une demi-heure plus tard, des bruits de graviers s'entrechoquant se rapprochent à grand pas. Le jeune termine sa course en pénétrant dans le taxi. D'une voix essoufflée il dit « Ramenez-moi ». Durant le trajet, en l'observant par le rétroviseur, le chauffeur constate un changement dans son comportement.. L'homme semble soulagé. C'est avec curiosité que le conducteur lui demande  : « Ca va comme vous voulez Monsieur ?  » Ils se regardent à travers le rétroviseur. Le passager rétorque : « Ca vous est déjà arrivé de vous débarrasser d'une crainte ?
- Hé bien, j'ai quitté mon pays pauvre pour protéger ma famille et offrir à mes enfants la chance d'aller à l'école et avoir un travail. Le tout loin des guerres, donc oui ».
C'est avec un sourire mutuel qu'ils concluent la discussion. De retour au même angle de rue, l'homme déclare : « Écoutez Monsieur...
- Radhan, répond le chauffeur en donnant une de ses cartes de visites.
- Monsieur Radhan, voici ce que je vous dois plus un supplément et ça en plus pour ne m'avoir jamais vu, ok ?
- Ok Monsieur. »
Le jeune homme sort du taxi, il regarde le véhicule s'éloigner et jette le carte de visite.


Deux semaines plus tard, Radhan s'arrête devant un kiosque et achète un journal. Les premières pages parlent d'une affaire de disparitions et de meurtres sur plusieurs années dans un domaine du comté de Kent. Un suspect du nom de Larry T ayant un passé de délinquant aurait avoué certains meurtres. Le buraliste déclare : « Ah mais c'est cette fameuse affaire qui vient d'éclater il y a 2 ou 3 jours. On en entend que de ça, TV, Radio...
- Je ne regarde pas souvent la télévision, répond Radhan.
- Vous êtes taxi, vous écoutez la radio  ?
- Que de la musique.
- En tout cas, celui qui a fait ça, c'est un beau salaud, apparemment il y a même des gosses dans les victimes. Un audience publique va avoir lieu à 15h, ils ont dit à la radio.
- Où ça ?
- Bah au tribun... »
Sans pouvoir finir la phrase, Radhan part en courant. Le buraliste conclut : « Et merci c'est pour les chiens ? »
Radhan se précipite vers la premières cabine téléphonique. Il explique à sa femme, qu'il ne pourra pas aller chercher les enfants à la sortie des classes. Prétextant une course prévue à cette heure-ci.  
Le chauffeur de taxi se rend à l'audience, il prend soin de ne pas trop attirer l'attention. N'ayant rien à avoir, malgré tout l'angoisse lui fait palpiter le cœur. Sur le banc des accusés, il reconnaît son client, Larry Thorton. Ce dernier prête serment. L'audience commence.
« Vous êtes bien monsieur Larry Thorton, né à Bayswater le 10 Mars 1984 ? annonce l'avocat général.
- Oui, répond Larry.
- Vous avez déclaré être impliqué dans les meurtres du domaine Seinfield, est-ce exacte ?
- Non, riposte sèchement l'accusé. » Ce qui provoque un raffut.
« Vous revenez donc sur votre déclaration ?
- Non, je suis juste impliqué dans certains meurtres, ceux commis le soir du 8 Octobre. J'ai d'ailleurs la liste des noms.
- Faites voir. »
Il regarde le document en lançant un regard au juge.
« C'étaient des gens haut placés, des gens respectés, réplique Larry.
- Pourquoi les avoir éliminés ? demande la défense.
- Pour tout ce qu'ils ont osé faire durant ces années dans plusieurs manoirs.
- Racontez nous en détail ce qu'ils ont osé faire durant ces années, demande l'avocat en reprenant les mots exacts de l'accusé.
-Tenez vous prêt alors », annonce Larry.

« C'était il y a 20 ans, avec mes parents nous sortions de temps en temps dans des soirées bourgeoises hors de la ville. Les hommes étaient toujours habillés en noir et les femmes en blanc. Ca semblait être des soirées caritatives, on s'amusait bien entre gamins. On retrouvait les mêmes personnes. Davis et Stacey étaient mes amis, ceux avec qui je passais le plus de temps. Nous, on restait dans une immense salle de jeux, pendant que tous les parents s'éclataient dans la salle principale. A une certaine heure, la musique baissait de volume et les enfants âgés de 10 ans minimum pouvaient les rejoindre, où plutôt devaient... A cette heure-ci nous autres étions censés dormir, mais les yeux bandés.
- Pourquoi ça ? demande la défense.
- Que sais-je » réplique Larry.
Il enchaîne la suite de son histoire.
« C'était effrayant, on entendait plusieurs bruits étranges, des cris, des pleurs. Davis a sans doute eu plus de chance. Il n'est pas venu à toutes les soirées, ses parents et lui ont dû déménager aux États-Unis, enfin c'est ce qu'on m'a dit, je ne l'ai jamais retrouvé. 
» On est resté en duo Stacey et moi. Quand un enfant rejoignait les adultes une fois on ne le revoyait plus. Du coup, au fil des mois nous étions de moins en moins, c'était flippant. Bien sur, aucune question ne devait circuler, surtout pas aux parents. On était si petit, c'est fou l'imagination d'un gosse, mais l'angoisse de ces soirées était insupportable. Évidemment, il ne fallait pas quitter notre dortoir, j'ai jamais osé imaginer ce qui se serait passé dans ce cas là. Paniqués et jetés dans l'obscurité totale, c'est de la torture mentale.
» Un jour, Stacey a eu 10 ans. J'en avais les larmes aux yeux rien qu'en y pensant. Et je les ai aujourd'hui en y repensant.
» Comme prévu, ils l'ont demandée ainsi que d'autres enfants et je n'ai rien pu faire vu mon jeune âge. On ne s’est pas lâché du regard jusqu'à ce qu'elle quitte la pièce de force. Je me suis retrouvé dans le même trou noir, les yeux bandés. Restant attentif aux bruits, car ça allait être ceux de mon amie. L'alchimie entre la colère et l'envie m'a poussé à sortir du dortoir en délivrant mes yeux. Je me suis dirigé vers les sons qui semblaient les plus féminins. Et en ouvrant l'ultime porte. J'ai vu une scène qu'on ne voit pas au théâtre. Un viol collectif dans lequel Stacey était au centre. Choqué, ne pouvant plus bouger à cause de ce que mes yeux me montrent. La porte entre ouverte s'est mise à grincer, ce qui a alerté les adultes présents. Leurs têtes ont toutes tourné vers moi d'un même geste synchronisé. En regardant les yeux de Stacey, j'ai aperçu des larmes et en voyant mes parents j'ai hurlé en courant vers la première fenêtre pour quitter cet endroit. Une fois dehors, j'ai vu un homme creusant, ne voulant pas me faire attraper j'ai continué ma course, personne n'aurait pu me rattraper. Une fois sur la route, j'ai fait du stop. Chose à ne pas faire, mais que pouvait-il m'arriver de pire. Dans la voiture je n'ai pas dit un mot juste l'adresse de mes grands-parents. Je n'ai jamais revu, ni Stacey ni mes parents, ils ont disparu, certainement dans un des trous dans les beaux jardins du domaine. Pas eu le temps de vérifier. Et faut dire que la colère et l'envie m'ont poussé à agir le soir du 8 Octobre, pour venger tous les copains qui n'auraient pas dû subir ça.
- Pourquoi ne pas avoir déclaré tout ça à la police ? demande l'avocat.
- Qui m'aurait cru ? » rétorque Larry, buvant un verre d'eau et voyant au fond de la salle Radhan. Ce dernier est choqué de l'histoire qu'il vient d'entendre.
« Et puis je voulais que ce soit public sans aucune censure, ajoute-t-il.
- Bien sur des fouilles vont être faites en détail, avez-vous autre chose à nous dire ou une preuve ? interroge l'avocat d'une voix embarrassée. Et en survolant son dossier.
- Moi oui », annonce un homme dans le public.
Ce dernier attire tous les regards.
« Qui êtes vous ? demande le juge.
- Davis... Davis Johnson.
- Celui évoqué précédemment ? réplique la défense.
- Précisément », répond Davis.
Il se déplace à côté de Larry, pendant que les brouhahas de la foule augmentent le volume.
« Silence... Silence ! dit le juge en tapant avec son maillet.
- Le témoignage de Monsieur Thorton est exact, mes parents ont assisté à quelques unes de ces soirées, sans jamais y participer, l'un des organisateurs était le patron de mon père. Jusqu'à ce qu'il démissionne et qu'on parte pour Boston. Impossible d'alerter la police ces gens étaient trop puissants, valait mieux fuir et se taire pour se protéger. C'est ce que mes parents ont pensé, déclare Davis.
- L'audience est levée », annonce le juge.
Les brouhahas sont de plus en plus forts. Étant proche de la sortie Radhan en profite et décide d'attendre Larry. Bien que ce dernier n'est pas acquitté, mais sous contrôle judiciaire.
Après quelques minutes, entouré de journalistes et photographes, Larry sort accompagné de Davis. Refusant de répondre à toute question, ils entendent la voix de Radhan proposant son taxi et quitter le lieu. Avec un sourire ils se saluent et montent tout les trois dans le taxi.
« Je vous dépose au même angle de rue, Monsieur Thorton ? demande Radhan.
- Non Radhan », répond Larry avec un sourire.
Il donne l'adresse de son domicile au chauffeur de taxi.
« Mais avant on va boire un verre tous les trois, ajoute-t-il.
- Vous vous connaissez ? demande Davis.
- Oui, c'est Radhan qui m'a accompagné cette nuit-là. »
Davis est inquiet.
« Mais personne n'est au courant », ajoute Larry.
Trois jours plus tard, la femme de Radhan rentre à leur domicile en furie, un journal à la main.
« Espèce de menteur, dit-elle à Radhan.
- Qu'est-ce qui se passe ? demande-t-il.
- Alors comme ça l'autre jour, tu ne pouvait pas aller chercher les enfants à l'école, car tu avais une course de prévue, en mimant les guillemets avec ses mains.
- Bah, oui réplique Radhan.
- Alors explique pourquoi tu es en première page du journal, regarde la photo date d'il y a 3 jours. »
Radhan regarde avec attention le journal et y voit écrit en gros : « Larry Thorton Acquitté ». Ca lui provoque un éclat de rire. Pendant que sa femme ayant les gros yeux ne comprend pas la situation. Elle continue d'exprimer sa colère.
« J'attends ton explication Radhan, dit-elle.
- Hahahahahaha ! »

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