Dans la banlieue londonienne, un
chauffeur de taxi traque les rues à la recherche de client. Son taxi
indépendant est décoré de la culture pakistanaise du conducteur.
Un soir à l'angle d'une rue, entre un
ancien disquaire et un barbier. Un homme entre 25-30 ans lui fait signe. Il
s'arrête, le jeune homme s'installe sans dire un mot, il tend un bout de
papier. Le chauffeur déplie le document et commence l'itinéraire vers l'adresse
inscrite. Ce dernier tente d'échanger quelques mots de courtoisie, mais ce
client ne laisse filer aucun son et semble pressé. L'adresse mène vers les
beaux quartiers du comté de Kent au Sud-Est de Londres. On y voit plus de
limousines avec chauffeur que de taxis. Arrivé à destination, le véhicule
s'arrête avant l'entrée d'un grand portail, suivi d'une grande allée. Le
chauffeur observe les fenêtres éclairées du manoir, le bâtiment est situé au
milieu du domaine. Le jeune homme paye et promet un supplément pour l'attendre.
Le conducteur propose de le déposer jusqu'au manoir, mais le client refuse, justifiant
que l'accès est privé. Le chauffeur de taxi le regarde s'éloigner dans la
pénombre en direction de l'édifice.
Une demi-heure plus tard, des bruits
de graviers s'entrechoquant se rapprochent à grand pas. Le jeune termine sa
course en pénétrant dans le taxi. D'une voix essoufflée il dit « Ramenez-moi ».
Durant le trajet, en l'observant par le rétroviseur, le chauffeur constate un
changement dans son comportement.. L'homme semble soulagé. C'est avec curiosité
que le conducteur lui demande : « Ca va comme vous voulez Monsieur ?
» Ils se regardent à travers le rétroviseur. Le passager rétorque : « Ca vous
est déjà arrivé de vous débarrasser d'une crainte ?
- Hé bien, j'ai quitté mon pays pauvre
pour protéger ma famille et offrir à mes enfants la chance d'aller à l'école et
avoir un travail. Le tout loin des guerres, donc oui ».
C'est avec un sourire mutuel qu'ils
concluent la discussion. De retour au même angle de rue, l'homme déclare :
« Écoutez Monsieur...
- Radhan, répond le chauffeur en
donnant une de ses cartes de visites.
- Monsieur Radhan, voici ce que je
vous dois plus un supplément et ça en plus pour ne m'avoir jamais vu, ok ?
- Ok Monsieur. »
Le jeune homme sort du taxi, il
regarde le véhicule s'éloigner et jette le carte de visite.
Deux semaines plus tard, Radhan
s'arrête devant un kiosque et achète un journal. Les premières pages parlent
d'une affaire de disparitions et de meurtres sur plusieurs années dans un
domaine du comté de Kent. Un suspect du nom de Larry T ayant un passé de
délinquant aurait avoué certains meurtres. Le buraliste déclare : « Ah
mais c'est cette fameuse affaire qui vient d'éclater il y a 2 ou 3 jours. On en
entend que de ça, TV, Radio...
- Je ne regarde pas souvent la
télévision, répond Radhan.
- Vous êtes taxi, vous écoutez la
radio ?
- Que de la musique.
- En tout cas, celui qui a fait ça,
c'est un beau salaud, apparemment il y a même des gosses dans les victimes. Un
audience publique va avoir lieu à 15h, ils ont dit à la radio.
- Où ça ?
- Bah au tribun... »
Sans pouvoir finir la phrase, Radhan
part en courant. Le buraliste conclut : « Et merci c'est pour les
chiens ? »
Radhan se précipite vers la premières
cabine téléphonique. Il explique à sa femme, qu'il ne pourra pas aller chercher
les enfants à la sortie des classes. Prétextant une course prévue à cette
heure-ci.
Le chauffeur de taxi se rend à
l'audience, il prend soin de ne pas trop attirer l'attention. N'ayant rien à
avoir, malgré tout l'angoisse lui fait palpiter le cœur. Sur le banc des
accusés, il reconnaît son client, Larry Thorton. Ce dernier prête serment.
L'audience commence.
« Vous êtes bien monsieur Larry
Thorton, né à Bayswater le 10 Mars 1984 ? annonce l'avocat général.
- Oui, répond Larry.
- Vous avez déclaré être impliqué dans
les meurtres du domaine Seinfield, est-ce exacte ?
- Non, riposte sèchement l'accusé. »
Ce qui provoque un raffut.
« Vous revenez donc sur votre
déclaration ?
- Non, je suis juste impliqué dans
certains meurtres, ceux commis le soir du 8 Octobre. J'ai d'ailleurs la liste
des noms.
- Faites voir. »
Il regarde le document en lançant un
regard au juge.
« C'étaient des gens haut placés,
des gens respectés, réplique Larry.
- Pourquoi les avoir éliminés ? demande
la défense.
- Pour tout ce qu'ils ont osé faire
durant ces années dans plusieurs manoirs.
- Racontez nous en détail ce qu'ils
ont osé faire durant ces années, demande l'avocat en reprenant les mots exacts
de l'accusé.
-Tenez vous prêt alors », annonce
Larry.
« C'était il y a 20 ans, avec mes
parents nous sortions de temps en temps dans des soirées bourgeoises hors de la
ville. Les hommes étaient toujours habillés en noir et les femmes en blanc. Ca
semblait être des soirées caritatives, on s'amusait bien entre gamins. On
retrouvait les mêmes personnes. Davis et Stacey étaient mes amis, ceux avec qui
je passais le plus de temps. Nous, on restait dans une immense salle de jeux,
pendant que tous les parents s'éclataient dans la salle principale. A une
certaine heure, la musique baissait de volume et les enfants âgés de 10 ans
minimum pouvaient les rejoindre, où plutôt devaient... A cette heure-ci nous
autres étions censés dormir, mais les yeux bandés.
- Pourquoi ça ? demande la défense.
- Que sais-je » réplique Larry.
Il enchaîne la suite de son histoire.
« C'était effrayant, on entendait
plusieurs bruits étranges, des cris, des pleurs. Davis a sans doute eu plus de
chance. Il n'est pas venu à toutes les soirées, ses parents et lui ont dû déménager
aux États-Unis, enfin c'est ce qu'on m'a dit, je ne l'ai jamais retrouvé.
» On est resté en duo Stacey et moi.
Quand un enfant rejoignait les adultes une fois on ne le revoyait plus. Du
coup, au fil des mois nous étions de moins en moins, c'était flippant. Bien
sur, aucune question ne devait circuler, surtout pas aux parents. On était si
petit, c'est fou l'imagination d'un gosse, mais l'angoisse de ces soirées était
insupportable. Évidemment, il ne fallait pas quitter notre dortoir, j'ai jamais
osé imaginer ce qui se serait passé dans ce cas là. Paniqués et jetés dans
l'obscurité totale, c'est de la torture mentale.
» Un jour, Stacey a eu 10 ans. J'en
avais les larmes aux yeux rien qu'en y pensant. Et je les ai aujourd'hui en y
repensant.
» Comme prévu, ils l'ont demandée
ainsi que d'autres enfants et je n'ai rien pu faire vu mon jeune âge. On ne s’est
pas lâché du regard jusqu'à ce qu'elle quitte la pièce de force. Je me suis
retrouvé dans le même trou noir, les yeux bandés. Restant attentif aux bruits,
car ça allait être ceux de mon amie. L'alchimie entre la colère et l'envie m'a
poussé à sortir du dortoir en délivrant mes yeux. Je me suis dirigé vers les
sons qui semblaient les plus féminins. Et en ouvrant l'ultime porte. J'ai vu
une scène qu'on ne voit pas au théâtre. Un viol collectif dans lequel Stacey
était au centre. Choqué, ne pouvant plus bouger à cause de ce que mes yeux me
montrent. La porte entre ouverte s'est mise à grincer, ce qui a alerté les
adultes présents. Leurs têtes ont toutes tourné vers moi d'un même geste
synchronisé. En regardant les yeux de Stacey, j'ai aperçu des larmes et en
voyant mes parents j'ai hurlé en courant vers la première fenêtre pour quitter
cet endroit. Une fois dehors, j'ai vu un homme creusant, ne voulant pas me
faire attraper j'ai continué ma course, personne n'aurait pu me rattraper. Une
fois sur la route, j'ai fait du stop. Chose à ne pas faire, mais que pouvait-il
m'arriver de pire. Dans la voiture je n'ai pas dit un mot juste l'adresse de
mes grands-parents. Je n'ai jamais revu, ni Stacey ni mes parents, ils ont
disparu, certainement dans un des trous dans les beaux jardins du domaine. Pas
eu le temps de vérifier. Et faut dire que la colère et l'envie m'ont poussé à
agir le soir du 8 Octobre, pour venger tous les copains qui n'auraient pas dû
subir ça.
- Pourquoi ne pas avoir déclaré tout
ça à la police ? demande l'avocat.
- Qui m'aurait cru ? » rétorque
Larry, buvant un verre d'eau et voyant au fond de la salle Radhan. Ce dernier
est choqué de l'histoire qu'il vient d'entendre.
« Et puis je voulais que ce soit
public sans aucune censure, ajoute-t-il.
- Bien sur des fouilles vont être
faites en détail, avez-vous autre chose à nous dire ou une preuve ? interroge
l'avocat d'une voix embarrassée. Et en survolant son dossier.
- Moi oui », annonce un homme
dans le public.
Ce dernier attire tous les regards.
« Qui êtes vous ? demande le
juge.
- Davis... Davis Johnson.
- Celui évoqué précédemment ? réplique
la défense.
- Précisément », répond Davis.
Il se déplace à côté de Larry, pendant
que les brouhahas de la foule augmentent le volume.
« Silence... Silence ! dit
le juge en tapant avec son maillet.
- Le témoignage de Monsieur Thorton
est exact, mes parents ont assisté à quelques unes de ces soirées, sans jamais
y participer, l'un des organisateurs était le patron de mon père. Jusqu'à ce
qu'il démissionne et qu'on parte pour Boston. Impossible d'alerter la police
ces gens étaient trop puissants, valait mieux fuir et se taire pour se
protéger. C'est ce que mes parents ont pensé, déclare Davis.
- L'audience est levée », annonce
le juge.
Les brouhahas sont de plus en plus
forts. Étant proche de la sortie Radhan en profite et décide d'attendre Larry.
Bien que ce dernier n'est pas acquitté, mais sous contrôle judiciaire.
Après quelques minutes, entouré de
journalistes et photographes, Larry sort accompagné de Davis. Refusant de
répondre à toute question, ils entendent la voix de Radhan proposant son taxi
et quitter le lieu. Avec un sourire ils se saluent et montent tout les trois
dans le taxi.
« Je vous dépose au même angle de
rue, Monsieur Thorton ? demande Radhan.
- Non Radhan », répond Larry avec
un sourire.
Il donne l'adresse de son domicile au
chauffeur de taxi.
« Mais avant on va boire un verre
tous les trois, ajoute-t-il.
- Vous vous connaissez ? demande
Davis.
- Oui, c'est Radhan qui m'a accompagné
cette nuit-là. »
Davis est inquiet.
« Mais personne n'est au courant »,
ajoute Larry.
Trois jours plus tard, la femme de
Radhan rentre à leur domicile en furie, un journal à la main.
« Espèce de menteur, dit-elle à
Radhan.
- Qu'est-ce qui se passe ? demande-t-il.
- Alors comme ça l'autre jour, tu ne
pouvait pas aller chercher les enfants à l'école, car tu avais une course de
prévue, en mimant les guillemets avec ses mains.
- Bah, oui réplique Radhan.
- Alors explique pourquoi tu es en
première page du journal, regarde la photo date d'il y a 3 jours. »
Radhan regarde avec attention le
journal et y voit écrit en gros : « Larry Thorton Acquitté ». Ca
lui provoque un éclat de rire. Pendant que sa femme ayant les gros yeux ne
comprend pas la situation. Elle continue d'exprimer sa colère.
« J'attends ton explication
Radhan, dit-elle.
- Hahahahahaha ! »
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