Il est là. Je le sais, je l'ai
vu tomber.
Ce n'est qu'un petit bout de
plastique. Avec un fil de fer au milieu. Ce genre de truc qui sert à maintenir
les câbles en place dans leur emballage. Je jouais avec depuis quelques jours.
Machinalement, sans vraiment y penser. À le tordre et le détordre. Le façonnant
parfois en forme de chevalière à un doigt. Le faisant passer d'une main à
l'autre, d'un doigt à l'autre. Comme un TOC, j'ai du mal à garder les mains
inactives. Alors quand je ne fais rien de particulier, comme regarder un film,
mes mains se saisissent du premier objet à portée pour le manipuler sans but
réel. Depuis quelques jours, c'était ce bout de plastique.
Mais hier il est tombé. Je ne
suis pas d'une grande dextérité, je fais toujours tout tomber. Ce n'est pas
bien grave, ce n'est qu'un petit bout de plastique sans valeur. Et il ne peut
pas être bien loin. Il ne le peut pas.
Pourtant je ne le retrouve
pas. J'étais assis devant l'ordinateur. Le sol est recouvert d'un tapis. Il ne
peut donc pas avoir rebondi bien loin. Pourtant je ne le retrouve pas.
Il est noir et le tapis est plein de motif sombre. Rien d'étonnant à ce qu'il
ne ressorte pas à la vue. Le sol est en plus jonché de tous les fils de
l'ordinateur, les multiprises, les disques durs externes et les câbles réseau.
Un sacré bordel dans lequel un bout de plastique peut facilement se perdre.
Ce n'est pas la fin du monde
si je ne le retrouve pas. Après tout des bouts de plastique ce n'est pas ce qui
manque. Rien que sur mon bureau j'en ai trois ou quatre à portée de main. Tous
aussi inutiles et insignifiants que celui égaré. Je ne le cherche que pour
apaiser mon esprit, répondre à cette simple question qui me tourmente : où
a-t-il bien pu passer pour que je ne le trouve plus ?
Cela fait désormais deux jours
qu'il a disparu dans les limbes de mon tapis. Bien sûr je ne l'ai pas cherché
intensément pendant tout ce temps. Ce n'est qu'un machin sans intérêt et je ne
suis pas fou. Alors de temps en temps, je regarde. J'étudie la topologie de mon
sol. Où peut-il avoir disparu ? Même en élargissant la zone de recherche,
il n'y a pas beaucoup d'endroit où il pourrait être passé.
Il aurait pu rouler jusque
sous le canapé. C'est fortement improbable, ce dernier est à un mètre du point
de chute. J'ai quand même regardé dessous, par acquit de conscience. Le bout de
plastique n'y était pas. Je ne l'ai pas non plus trouvé dans les fils de
l'ordinateur et tout le fatras de son installation. J'ai tout soulevé et
retourné et pourtant j'ai fait chou blanc. Il aurait pu se réfugier sous la
panière dans laquelle le linge propre attend d'être repassé. Mais il n'est pas
en dessous. Il n'est pas dedans non plus. Et je ne comprends même pas pourquoi
j'ai vérifié cela, je ne vois pas par quel miracle il aurait pu s'y
retrouver ; à moins de défier les lois de la physique.
Trois jours sont passés et je
ne l'ai pas retrouvé. J'ai vérifié qu'il n'était pas coincé dans le mécanisme
des roulettes de ma chaise de bureau. Je me suis muni d'une lampe de poche
électrique et j'ai passé le tapis à l'inspection ; le faisceau de la lampe
et le regard au ras du sol : s'il avait été là, j'aurais dû voir son ombre
au moment où le faisceau opérait son balayage. Puis centimètre carré par
centimètre carré, en vérifiant à la main qu'il n'y avait pas d'aspérité qui
aurait échappé à mon regard. Bien sûr j'ai pu manquer quelque chose, échouer à
appliquer à la lettre une méthodologie qui semblait exhaustive. S'il avait été
au milieu du salon, j'aurais fini par marcher dessus et le remarquer, à la
longue. Il ne peut être que dans un recoin. Je ne sais juste pas lequel.
Quand on a épuisé les
explications rationnelles, on envisage des explications qui le sont moins. Je
ne me rappelle plus dans quelle série ils disaient ça, sûrement un truc comme X-Files.
Mais je sais que la vérité n'est pas ailleurs. Les extraterrestres seraient
quand même bien bêtes si leur première manifestation sur Terre était
l'enlèvement d'un bout de plastique. Je doute qu'une faille
spatio-dimensionnelle – ou même une spatio-temporelle – se soit ouverte dans
mon salon le temps d'absorber un bibelot pour le recracher à des
années-lumières de son point de départ. J'aurais cru ces failles moins discrètes.
Il aurait pu s'accrocher à une
de mes chaussettes et être ainsi déplacé n'importe où ailleurs dans
l'appartement. C'est tout de même plus probable qu'un enlèvement
extraterrestre. Je ne le retrouverai donc peut-être jamais. Je me fais à cette
idée. Après tout, je n'avais pas vraiment d'attachement sentimental envers ce
machin. J'aimerais juste savoir ce qu'il est advenu, par curiosité. Parce que
la matière tangible ne s'évapore pas par magie. Lavoisier disait « Rien
ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » ; on voit qu'il
n'a jamais fait tomber un bout de plastique sur son tapis. Mais peut-être qu'il
s'est en effet transformé en quelque chose d'autre que je ne peux pas
distinguer. Un mouton de poussière, peut-être : tu es né poussière et tu retourneras
poussière, et ensuite l'aspirateur reconnaîtra les siens.
L'aspirateur, c'est l'option
la plus logique. Dans un ou deux jours je le passerai ; bien obligé. À un
moment j'entendrai un cliquetis qui m'indiquera que quelque chose de plus gros
qu'une poussière vient de remonter le tube. Au moins je saurai enfin où se
trouvait ce satané bout de plastique. Je n'irai pas le rechercher dans le sac,
je n'ai que faire de ça. Je n'ai pas besoin de le récupérer, juste de savoir où
il est passé. J'ai suffisamment de trucs à portée de mains pour les
occuper.
Finalement, au bout de
quelques jours, j'ai retrouvé le bout de plastique. Il y a quelques minutes
seulement. Il s'était bêtement entouré autour d'un fil de l'ordinateur. Un
endroit que j'avais déjà regardé plusieurs fois, et que je ne regardais à nouveau que par dépit, sans y croire
vraiment.
Ça me rassure, d'une certaine
façon. Je ne suis pas fou : le bout de plastique existait bien et
l'explication la plus rationnelle possible s'applique. Ni aliens, ni faille
dimensionnelle, ni sorcellerie. Juste la simple gravité newtonienne. C'est
réconfortant.
Maintenant, je peux aller le
bazarder à la poubelle et dormir apaisé.
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