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Nous étions des myriades, les maîtres de l’Univers, et regardez… Que reste-t-il
de nous aujourd’hui ? Une race épuisée, lasse des conflits, vous rendez
vous compte que cette histoire stupide dure depuis plus d’un million
d’années ? Ne serait-il pas temps d’enterrer nos vieilles rancœurs ? Si
nous ne faisons rien, notre espèce est vouée à l’extinction. Nous étions moins
de vingt milliards au dernier recensement, la prochaine guerre décimera
probablement nos rangs de manière définitive. Les Cohos et les Mahjs sont
frères, c’est le même sang qui coule dans nos veines, je vous abjure d’admettre
vos torts et de reconnaître comme vérité ultime que Oharr, Son Saint Nom soit
loué, n’a jamais porté de barbe !
Des
cris de protestation haineuse jaillirent de la partie adverse, une arme fut
sortie pour être aussitôt rengainée, puis, le silence se fit et, très
calmement, un par un, les délégués Mahjs quittèrent le Parlement. Tumen
soupira, il avait échoué. S’il y avait un avenir, l’histoire ne garderait de
lui que le souvenir de celui qui avait mené la dernière croisade, son nom
serait honni et craché comme une insulte à la face des étoiles. Un acolyte
déposa respectueusement le coffre de la honte devant lui. Il l’ouvrit et le
referma aussitôt, pas maintenant pensa-t-il avec colère, il n’éprouvait aucune
honte, juste des regrets. Le devant du coffre était orné des armes d’Oharr le
Pacificateur, les trois soleils Originels et l’épée de cristal ; sur le
couvercle, une eau forte le montrait triomphant au lendemain de la bataille des
Colonies Extérieures. Il riait tous crocs dehors, ses plumes frontales encore
hérissées de l’excitation du combat, aussi loin que semblait porter son regard,
le sol était jonché de cadavres. On raconte que l’odeur du sang l’avait rendu
fou, deux jours plus tard, il mettait fin à ses jours en buvant la sève du
mac-mac, l’arbre à putréfier, il agonisa pendant deux semaines. C’est pendant
ce court laps de temps qu’il dicta le livre des lois. Les visitations
débutèrent deux mois plus tard. Il inspirait les stratèges, très vite, des
miracles lui furent attribués et il devint rapidement évident qu’il avait
rejoint le Panthéon Divin. On lui bâtit des temples, sur Planète Mère d’abord,
puis jusqu’aux plus lointaines colonies stellaires. L’entrée des lieux consacrés
était toujours ornée d’une statue du Héros Combattant et naturellement, il
était imberbe. L’origine du schisme demeure incertaine, une erreur, un excès de
zèle ou, - pire encore -, un acte délibéré et provocateur d’un groupe
d’incroyants. Lorsqu’ils établissent une nouvelle colonie, la première tâche
des ouvriers est de construire le temple, un Gardien de la Foi est alors
dépêché pour constater la conformité du bâtiment et le bénir. C’était une
obscure petite lune, une colonie minière à peine constituée de quelques
centaines d’individus. Son nom est aujourd’hui perdu car l’affront fut si
terrible qu’il jeta l’opprobre sur l’ensemble de la population. L’endroit fut
banni des cartes de navigation et réputé maudit. Quelle ne fut pas l’horreur du Saint Servant
quand il vit cette monstruosité, il hurla, tempêta, invectivant les mineurs de
manière fort peu convenable pour quelqu’un de son rang, et refusa tout net la
bénédiction. La perfection du menton du Héros Combattant avait été souillée par
une barbe se terminant par trois courtes pointes tressées, la même que portent
aujourd’hui encore les membres de la corporation des éboueurs ! On raconte
qu’avant de grimper dans l’astronef, le Gardien de la Foi se retourna vers la
chose puis se creva les yeux avec son poignard de cérémonie. Le mal était fait,
avant que l’ostracisme fût décrété, plusieurs impies s’enfuirent vers d’autres
mondes. Ils s’investirent prêtres et entreprirent lentement de saper les bases
de Notre Religion en promulguant de nouveaux dogmes. Le conflit ébranla tout
l’Univers, des systèmes solaires entiers furent dévastés et l’Empire se
disloqua. La paix semblait désormais impossible, chaque affirmation était
d’office réfutée et contredite par d’autres qui, il faut malheureusement
l’admettre, ne manquaient pas de pertinence, les blasphémateurs étaient aussi
rusés qu’intelligents. La trêve était terminée, dès que les diplomates et les
prêtres auraient rejoint leurs mondes respectifs, les combats reprendraient,
plus impitoyables que jamais. L’arme ultime était prête à entrer en action,
pour le meilleur et pour le pire. Tumen frissonna, il avait peur.
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L’arme se trouvait sur un
monde aride et sans atmosphère, les bâtiments qui l’abritaient étaient enfouis
sous deux kilomètres de roche et impossibles à détecter. L’endroit ne manquait
néanmoins pas de confort, plusieurs scientifiques vivaient d’ailleurs là depuis
une vingtaine d’années, tout aurait été parfait si la communauté n’avait été au
courant des recherches effectuées. Maintenant que l’instant approchait, la
tension devenait palpable, les gens osaient à peine parler, certains
pleuraient, priaient sans trop y croire que ce ne fut qu’un rêve affreux, qu’ils
allaient se réveiller. Quelques uns se suicidèrent… Et le chaos ne faisait que
commencer.
- Comment ça marche ?
demanda Tumen.
- L’orifice du canon va
libérer une radiation génique vers le soleil, chevrota un vieillard craintif,
celui-ci va l’absorber, l’amplifier et le renvoyer dans toutes les directions à
la fois. L’effet est presque immédiat dès que l’on est touché, mais il faudra
une cinquantaine d’années avant qu’il ne soit ressenti aux confins de l’Empire.
Et… c’est irréversible, une fois le processus lancé, rien ne peut l’arrêter. Il
n’y a aucune protection possible.
- C’est bien, c’est très bien.
Lancez là cette foutue machine, et qu’on en finisse une bonne fois pour
tout ! hurla Tumen au bord de l’hystérie.
Quelqu’un appuya sur le bouton
de commande et l’arme de la fin du monde cracha son rayon empoisonné. Tumen sortit le Coffre de la Honte et
attendit.
- Vingt secondes, fit une
voix. Il ferma les yeux, et ouvrit le coffre. Il prit la fiole contenant la
sève de mac-mac et dévissa le bouchon, il dut faire des efforts considérables
pour ne pas en avaler le contenu, déjà l’odeur enivrante lui montait à la tête
et commençait inéluctablement à annihiler sa volonté.
- Cinq secondes… Préparez-vous.
Il compta mentalement et ouvrit les yeux. C’est fini souffla-t-il. Le sol était
maintenant jonché d’un fin tapis dont les nuances variaient du noir le plus
profond à la blancheur des neiges éternelles. L’attribut naturel qui faisait la
fierté de sa race, celui dont la longueur et la sculpture déterminait le rang au
sein de la société, celui qu’admiraient les jeunes mères en contemplant leur
nouveau-né, que l’on enlevait de façon définitive aux pires criminels, avait
disparu. Dans un certain sens, n’étaient-ils pas ainsi plus proches
d’Oharr ? Aujourd’hui encore, la caste religieuse hésitait à reconnaître
que le Héros était un forçat évadé. Les gens dans la salle gémissaient
doucement, plusieurs personnes se trouvaient déjà dans un état proche de la catatonie…
Bien que le bâtiment fût isolé, on pouvait percevoir les cris de panique et de
désespoir des résidents, combien allaient survivre dans ce nouveau monde ?
- Nous sommes maintenant
pareils ! Qui aujourd’hui osera encore prétendre à la guerre, et comment
la justifiera-t-il ?
Il avala le poison d’un trait.
Trois jours avant sa mort, les premiers postiches faisaient leur apparition sur
le marché.
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