Ce texte à été écrit dans le cadre de l'Atelier des
Madnautes, lors d'une session ayant pour thème: Vampiros Lesbos (oui,
comme le film de Jess Franco).
Depuis
combien de temps suis-je ici?
J'ai
l'impression que cela fait une éternité.
Mes
yeux me brûlent. Les larmes qu'ils produisent coulent sur mes joues sans
apaiser la douleur. Bordel, c'est quoi leur drogue? Impossible de battre des
paupières, de bouger le moindre doigt. Paralysé que je suis, coincé comme ça,
assis sur ce canapé depuis je ne sais combien de temps.
Je
savais que ça sentait mauvais. Que j'aurai pas dû sortir. Ce soir comme un
autre, d'ailleurs. Mais l'enterrement de vie de garçon de son meilleur pote, ça
ne se refuse pas, non? Et puis il a tellement insisté… Et je n'avais plus
d'excuse, ou de cas de force majeure à lui opposer.
Moi
qui craignait de faire une crise, c'est même pas ça qui va me perdre...
La
soirée avait parfaitement commencé: tout le groupe était pour une sortie en
boîte "entre couilles", et on s'éclatait bien, à danser, délirer au
milieu de la piste, mater les filles.
Jusqu'à
ce que je la voie, elle.
Et
elle qui me matait.
Et
elle qui m'a abordé en premier.
Bon
Dieu, ce qu'elle était belle. Grande, brune, un visage parfait, un corps
parfait. Et des yeux verts émeraude, magnifiques, hypnotiques.
Les
potes me regardaient, rieurs ; envieux aussi. "Tu vois ce que tu rates à ne
jamais sortir?". Les cons, de vrais collégiens... Pendant un instant, je
me suis demandé si elle n’était pas simplement une pute, et s'ils ne m'avaient
pas tendu un petit piège. Mais ce n’était pas MON enterrement de vie de garçon.
Et
surtout, elle avait quelque chose, elle dégageait quelque chose, un charme, un
magnétisme, une aura qu'aucune prostituée n'aurait. Un truc qui ne s'achète
pas, qui ne s'invente ou ne se simule pas. Et qui laissait à croire qu'elle
avait vraiment envie de moi.
Elle
s'appelait Soledad, et elle me demanda de lui payer un verre.
Oh,
je sens que ça revient. En me concentrant, en y mettant toutes mes forces,
j'arrive à battre des paupières. Ah! Putain, j'aurais jamais cru que cligner
des yeux puisse être aussi douloureux! Encore quelques battements de cils, et
la brûlure sur mes pupilles s'estompe un peu. Encore un effort, et je parviens
à orienter mon regard. Automatiquement, je regarde vers ma gauche, vers leurs
chambres. Au travers de la porte filtrent gloussements, gémissements, cris.
Démonstratives dans l'acte, les filles...
Au
bar, elle commanda une vodka-pomme. Le Barman n'eut pas le temps de me demander
ce que je voulais qu'une petite blonde nous aborda, sautant au cou de Soledad.
La belle brune l'accueillit de cette manière exaspérante qu'ont entre elles les
bonnes copines, à paraître au bord de l'hystérie dès qu'elles se voient.
Elles
échangèrent un baiser coquin, sur la bouche. Sûrement une autre habitude de
copine. Puis on nous présenta: la blonde s'appelait Violaine. Un baiser plus
appuyé que de coutume, un sourire enjôleur. "Elle est comme une sœur pour
moi", ajouta Soledad.
Je
me souviens qu'au lycée, j'avais connu une fille qui s'appelait comme ça.
J'avais trouvé ce prénom bizarre, malsain ; comment des parents pouvaient-ils
avoir l'idée d'appeler leur fille "Viol-Haine"? Mais cette
Violaine-là n'inspirait rien de ça. Elle avait un visage poupin, enfantin ; et
elle en jouait, bon sang, habillée façon lolita, petite jupe, chaussettes et
couettes, allumeuse juste ce qu'il faut. J'en venais même à me demander quel
âge elle pouvait bien avoir... En fait, au premier abord, elle semblait ne rien
avoir de commun avec Soledad. Si ce n'est de magnifiques yeux verts, elle
aussi, et un physique à se damner. Elle aussi.
Je
payai nos consommations. L'apparition de Violaine à ce moment précis sentait un
peu le traquenard, mais je ne m'en inquiétais pas : bordel, j'étais accompagné de
deux filles sublimes, et on était retourné sur la piste de danse, elles et moi,
sous les regards envieux de tous les autres mecs... Peu à peu, elles s'étaient mises
à danser elles seules, me laissant un peu à l'écart. Elles se parlaient.
Parlaient de moi, surtout, si j'en crois les regards électrisants qu'elles me
jetaient régulièrement.
Puis,
comme d'un commun accord, nous quittâmes la boite, laissant là mes potes à qui
je n'avais même pas dit au revoir...
Machinalement,
je regardai le ciel nocturne. Cette lune, ces étoiles. La nuit était claire.
J'avais oublié à quel point ce pouvait être beau.
Un
cri dans la pièce d'à côté. Un cri de douleur. La porte claque, et Soledad
sort, traversant le living-room d'un pas vif, en jurant. Elle est nue, tenant
son poignet droit de sa main gauche, un filet de sang coulant jusqu'à son
coude. Dans la cuisine, elle prend un chiffon, épongeant son bras. Violaine
sort à son tour. Nue elle aussi. Elle s'arrête devant moi, dans toute sa
splendeur.
"Je
suis désolée" gémit-elle à l'attention de sa copine. Je lève les yeux vers
son visage, et sa bouche est barbouillée d'hémoglobine.
"Ça
ne te sert à rien d'être désolée" hurle Soledad, revenant face à elle, et
me laissant l'admirer dans toute son arrogante beauté. "Ça fait deux mois
que tu es sevrée, on en a fini avec ces conneries!". Je regarde son
visage, obscurci par la rage et perdu dans ses cheveux en bataille. Le vert de
ses yeux est plus lumineux encore, comme pour Violaine.
"Mais
j'ai faim" lui réplique celle-ci. Et leurs regards de se poser sur moi. Je
remarque alors qu'outre leur regard, c'est leurs bouches qui ont changé. Voyant
mon trouble, elles sourient. D'un sourire carnassier.
Mes
premiers vrais doutes concernant ces filles sont venus plus tard, lorsque nous
étions dans leur voiture, en direction de leur appartement. Elles étaient
assises à l'avant, Violaine conduisant, et moi relégué à l'arrière. Elles
semblaient m'ignorer, échangeaient quelques mots à voix basses, s'embrassaient.
S'embrassaient
à pleine bouche même, laissant leurs mains se promener... et ce n'était
sûrement pas pour m'émoustiller; elles faisaient ça en vraies amantes, sans se
soucier de la route qui défilait devant elles ou de l'inconnu assis là, sur la
banquette arrière.
Nous
arrivâmes en bas de leur appartement. Elles partageaient un grand F2 dans un
bel immeuble, près de la vieille ville. Je descendis de la voiture avec
Soledad, laissant à Violaine le soin de garer la voiture. De nouveau, elle
échangèrent un long baiser, puis nous montâmes.
L'appartement
était simple, peu de décoration, un peu de désordre. Bien qu'elles se
prétendissent étudiantes, je ne trouvai guère de livres, de cahiers, pas même
un ordinateur.
Brisant
le silence qui régnait depuis quelques minutes, Soledad me proposa à boire.
" Moi, je me fais un Bloody Mary" annonça-t-elle. "J'en veux
bien un aussi", dis-je sans plus de conviction. Et comme si elle avait lu
dans mes pensées: " C'est pas que je sois très fan du jus de tomate, moi
non plus, mais le nom m'amuse" ajouta Soledad. "Ça fait film
d'horreur". Je trouvai la remarque idiote, mais j'avais bien compris que
son but n'était déjà plus de me plaire... Je m'assis sur le sofa.
Violaine
arriva, et avec elle c'est toute l'ambiance qui se réchauffa. Elle prit aussi
un Bloody Mary, enlaçant sans cesse Soledad, la harcelant de ses baisers. Nous
trinquâmes, puis elles mirent de la musique. Du rock bien lourd, une guitare
grasse, un rythme lancinant. Elles dansaient, se déhanchaient l'une contre
l'autre, se caressant au travers de leurs vêtements, leurs langues déchaînées.
Tout d'abord gêné, me sentant définitivement de trop, j'hésitais à me lever
pour les rejoindre. Ou pour partir. Puis, vidant d'un trait ce qui restait dans
mon verre, je voulus me lever. Sans succès.
Mes
jambes ne répondaient plus aux ordres de mon cerveau, je sentis comme un
vertige, puis ce fut au tour de mes bras d‘être comme immobilisés. Puis mon
cou. Puis tout mon corps. J'eus beau activer mon bulbe rachidien autant que je
le pusse, mes muscles étaient aux abonnés absents, incapable de bouger un cil.
Je restai là, assis, raide, les yeux grands ouverts et la bouche bée. Paralysé.
Je pouvais encore respirer, et c'est bien la seule chose qui me différenciait
du premier cadavre venu.
Les
filles n'avaient que faire de mon état. Leur danse, plus sensuelle que jamais,
n'avait plus à voir avec la musique. Elles n'étaient plus dirigées l'une et
l'autre que par leurs désirs. Ainsi, sans se séparer du moindre centimètre,
sans décoller leurs lèvres, elle se dirigèrent vers leur chambre, ignorant la
masse inerte que j'étais devenu, assis sur leur sofa.
"Attends
encore quelques minutes. La drogue fait toujours effet ; si tu le mords trop
tôt, tu seras complètement stone".
Violaine
est déjà penchée au-dessus de mon cou, les crocs bien en avant, quand Soledad
la rappelle à l'ordre. La blondinette se redresse d'un sursaut, faisant
rebondir ses seins. Oui, je dois bien avouer que malgré ma situation, et les
effets de la drogue se dissipant lentement, je ne peux pas m'empêcher d'apprécier
encore et toujours la vision de ces deux corps magnifiques me faisant face.
Y
mettant toutes mes forces, je parviens à produire un son du fond de ma gorge,
et à articuler un simple petit mot. Un mot qui les interpelle. Soledad prête
l'oreille.
"Vampire?
C'est ça que t'essayes de dire? " Elle regarde Violaine, souriante.
"Ma chérie, je crois qu'on est tombé sur un garçon moins bête que la
moyenne". Elles pouffent, toutes les deux.
"S’il
parle, c'est qu'il est réveillé, non? Je peux y aller maintenant." Cette
pauvre Violaine s'en lèche les babines. "Non, attends encore un peu"
lui répond une Soledad cinglante, avant de poser un regard amusé sur moi.
"Oui,
des vampires. Tu nous excuseras de t'avoir pris pour cible ; évidemment, comme
tu as pu le remarquer, on préfère les filles, mais en tant que...
"proies", les garçons sont tellement naïfs, tellement faciles à
attirer! "
"Et
on doit en attirer souvent si on veut que j'arrive au dernier stade !"
ajoute Violaine.
"Et
oui! reprend Soledad, l'enlaçant d'un bras protecteur. Parce que, quand je t'ai
dit que Violaine et moi étions comme des sœurs, il fallait comprendre sœurs de
sang, ou quelque chose dans le genre. Violaine n'est pas encore tout à fait un
vampire; c'est moi qui l'ai convertie, mais elle doit finir son sevrage."
et de me montrer son poignet où deux trous nets se résorbent lentement
"Elle a encore quelques mauvaises habitudes."
Tandis
qu'elles me parlent, je sens peu à peu les effets de la drogue se dissiper. Je
sais que je peux désormais bouger mes bras, mes jambes aussi, peut-être même me
mettre debout, mais je n'en fait rien, conscient que tout mouvement de ma part
donnerait le feu vert à Violaine pour me mordre.
Soledad
s'éloigne de nous deux, va vers la cuisine, et revient, une lampe de poche à la
main. Se penchant vers moi, elle tire ma paupière de ses doigts fins et observe
ma pupille.
"Voyons
sa réactivité… Bizarre... notre ami a comme... quelque chose dans les yeux...
Peut-être qu'il nous couve une cataracte!"
Sa
remarque me donne comme un coup de fouet. Car je sais ce que signifie cette
"cataracte"...
"Mais
l'œil en lui-même est encore vitreux, endormi." Elle confie la lampe à
Violaine et s'éloigne, passant derrière moi. "Attends encore 2 à 3 minutes
avant de le mordre, pas avant. Je vais prendre une douche... Et laisse-moi un
peu de sang!"
La
porte claque. Je reste seule face à une Violaine fébrile. Elle va me mordre,
d'un instant à l'autre.
Mais
mes yeux n'ont pas menti. Je sens que ça monte en moi, comme un frisson. Un
frisson qui s'amplifie le long de mes vertèbres, me parcourant jusqu'au bout
des doigts, comme de l'électricité.
Une
crise. La première depuis 3 mois.
Je
suis comme pris de spasmes. Bon sang, j'essaie de la retenir, de ne rien
laisser paraître face à cette vampirette qui à la moindre alerte se jettera sur
ma jugulaire, mais c'est plus fort que moi. Le frisson électrique devient
douloureux, Je rue sur le canapé comme un épileptique. Violaine est surprise,
et plutôt que de me sauter dessus, fait un pas en arrière. C'est bon pour moi.
Je roule, me redresse, retombe. Allongé en travers de la table basse, face à
une Violaine paniquée qui appelle après sa copine. Dans dix secondes ce sera
fini. Tous mes muscles se tendent à l'extrême, se déforment, se tordent, puis
se détendent. Un à un.
Je
me redresse, Soledad sort de la salle de bain, un peignoir vite enfilé sur les
épaules. Elle laisse échapper un juron.
Voilà
ce que je perdais à ne jamais sortir.
Voilà
ce que je perdais à m'entraver chaque nuit pour ne pas pouvoir sortir.
Pour
ne blesser personne.
Voilà
ce que je perdais à craindre sans cesse cette bestialité en moi qui sortait
sans prévenir. Oh, je sais ce qui se dit, mais comme pour les vampires ne
supportant soi-disant pas la lumière du jour, ces histoires de pleine lune,
c'est du vent. Mes crises, c'est comme les grandes marées : la Lune a sûrement
une influence dessus, mais ça n'a rien d'exact, rien de prévisible ou de
certain.
Le
loup est dans la bergerie, et mes deux bergères vont passer un sale quart
d'heure...
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