Note de l’auteur : ce texte à été écrit dans le cadre de
l'Atelier des Madnautes, lors d'une session ayant pour thème : John
Carpenter. Toute ressemblance avec des œuvres telles que Invasion Los
Angeles ou Prince des Ténèbres est donc parfaitement assumée.
Revendiquée, même.
Je somnolais à moitié derrière mon volant.
La nuit était déjà bien avancée, et à la fatigue de
cette heure tardive se mêlait l’alcool ingurgité pendant le repas. Merde,
revoir les potes du lycée, c’était sympa, mais ça me rappelait toujours à quel point
j’étais trop vieux pour ça.
5 ans que je les avais pas vus ; Lucie avait pas
changé, Marc non plus. Enfin, je crois. Je ne l’avais pas trop connu, lui, à
vrai dire. Juste qu’il sortait avec elle. On se demandait ce que cette fille,
première de sa classe scientifique, pouvait faire avec un nerd qui faisait son
BTS électronique… Et ils étaient restés ensemble, et lui avait trouvé un boulot
dans la téléphonie, avait été muté, et elle l’avait suivi. Et voilà qu’ils
étaient de retour dans la région, à l’aune d’une nouvelle mutation, et qu’on se
retrouvait. Sympa, la mutation, à ce qu’il me disait. Il prenait du galon,
était mieux payé, et bossait dans ce nouveau super-central qui gérait des
milliers de téléphones, de portables, de connexions internet…
« Tu passeras devant en repartant, de toute façon ! Le
grand bâtiment à la sortie, 300 mètres après le Carrouf » qu’il m’avait dit.
C’est vrai qu’il était impressionnant son truc. Un
grand cube blanc hérissé d’antennes et de paraboles, brillant dans la nuit sous
la lumière des spots. Je le regardais longuement en roulant, ralentissant mon
allure, comme fasciné…
Un bruit sourd à l’avant. D’instinct, sans même m’en
rendre compte, je freinai. Une masse souple, noire, roula sur le capot et
disparut sur le côté de la voiture. Tétanisé, sorti de ma torpeur par la subite
montée d’adrénaline, je regardais partout. J’aperçus un mouvement dans mon
rétroviseur. La masse sombre était allongée au sol, sur le bord de la route. Je
pensais avoir à faire à un sanglier, ou un chevreuil. Merde. Ça se redressait,
se relevait. Un homme. Autant par inquiétude que par civilité, je sortis de la
voiture.
« Rien de cassé ? » je demandai en
m’approchant. Le gars finissait de se redresser. Il était très grand, quasiment
deux mètres, et visiblement très fin, maigre comme un clou. Pour ne rien
arranger, il était habillé de vêtements amples, presque trop grands pour lui.
Un pantalon de travail et un sweater à capuche, sales et troués. Il m’avait
tout l’air d’être un paumé, un SDF. Pour toute réponse, il me lança un sourire
grimaçant. Il se tenait la jambe droite.
« C’est sûrement rien.
- Vous êtes sûr ? Je peux vous amener aux urgences,
qu’ils vous examinent.
- Non, pas d’hôpital. Ils vont me… non.
- Mais je peux vous ramener. Vous aider. Faire quelque
chose pour vous… Vous avez faim ?
- Oui ! Non. Je… Pardon. »
Comme si c'était à lui d'être gêné pour avoir heurté
ma voiture. Il commençait à marcher, à reprendre sa route en traînant la jambe,
puis, l’esprit déjà ailleurs, il commençait à regarder autour de lui. A
chercher quelque chose par terre.
« Si je peux vous aider… repris-je en le suivant.
- Mes lunettes. J’ai perdu mes lunettes. »
Pas tout à fait le genre de réponse à laquelle je
m’attendais, mais je me mis toutefois à chercher avec lui, à ratisser la route
et les bas-côtés à proximité. Il avait sorti une lampe torche de je-ne-sais-où.
Dans un cri de joie, il se jeta dans le fossé à proximité pour en ressortir
l’instant d’après. Il abaissa sa capuche. Sur son crâne, une calotte luisante.
Toute sa tête, sauf le visage, était couverte de plusieurs couches superposées
et soigneusement scotchées de papier aluminium. J’eus à peine le temps de m’en
étonner qu’il mit ses lunettes. Une grosse monture de plastique rouge pâle
soutenant deux verres teintés verts.
Des lunettes 3D.
Des putains de lunettes 3D de cinéma.