TZATZIKI ET ŒUF D’OLYMPE
Le soleil
était déjà haut dans le ciel, et bas dans son estime, quand Poséidon se leva de
la baignoire en fonte qui lui servait de lit. Depuis que l’astre était passé de ‘Dieu’ à ‘gigantesque
boule de gaz en fusion’, il était aussi passé de collègue à simple emmerdement
matinal, et le maître des mers n’éprouvait pour lui aucune sympathie, si ce
n’est concernant le séchage de la morue (point sur lequel bien des magazines
féminins s’étaient mis d’accord, ajoutait-t-il pour lui même en ricanant).
Il aurait pu
placer des volets, voire des stores électriques, mais sans ce réveil naturel il
avait trop peur de ronfler des bulles ad libitum au milieu des sels de bain.
C’est que ça
a le sommeil lourd un Dieu, et plus persistant qu’un larsen après un concert de
louanges (d’ailleurs à ce jeu là, Gros Bouddha les battait tous à plate
couture, même les statues qui le représentaient étaient couchées).
Le disque
solaire lui était nécessaire, donc, mais ça n’allait pas l’empêcher de râler de
bon cœur tous les matins quand un rayon finissait par se jeter sauvagement sur
une de ses paupières endormies.
Et ce jour
là, c’était dimanche, il ne s’était pas couché aux aurores après une pêche
nocturne, mais bien la veille au soir, et il aurait espéré qu’un bon ciel
nuageux le laisse roupiller au moins jusqu’à midi.
Las, les rais
de lumière dardaient dans sa chambre comme les tétons d’Aphrodite, il était
définitivement temps de sortir du bain.
Qui plus est,
il avait décidé aujourd’hui de rendre visite à un ami, alors autant se tsunamer
le bénitier sans attendre.
Il sortit donc de la baignoire en maugréant, une eau délicatement salée ruisselant sur son corps imberbe, dégoulinant en longues cascades de sa barbe grise et bouclée avant d’éclater en clapotis sur le sol de mosaïque.
Depuis sa
retraite forcée, il avait perdu un peu de masse et de puissance physique, mais
il restait, si l’on puit dire, dans une forme olympienne.
Quelques
étirements, des ablutions, un séchage à la conque, un secouage de bigorneau,
une panoplie de marin enfilée,
quelques flocons dans l’aquarium d’Ulysse et Jason, un bol d’ambroisie
chocolat englouti, et il fut sur le perron de sa modeste villa, les narines
pleines des embruns piscicoles du port d’Athènes qui s’étalait nonchalamment en
contrebas.
Comme il
descendait vers la mer, il se remémora non sans nostalgie la glorieuse époque
du Gang du Soleil. Ra, Hélios, Sol, Huitzilopochtli et les autres, une équipe
soudée, de divins compagnons, toujours prêts à s’entraider quand leur peuple
avait quelques problèmes de respect d’autorité, ou à faire bronzer Poséidon plus
que de raison quand il s’était assoupi au coin d’une crique.
C’était le
bon temps.
Enfin, toutes
les bonnes choses ont une fin, et cette ère-là était révolue.
Le port
d’Athènes atteint, il en profita pour jeter un coup d’œil au travail de ses
employés dominicaux. La mer était d’huile, la pêche avait dû être sereine, et
effectivement, une demi-douzaine d’ouvriers s’activaient à briquer le pont des
chalutiers, amarrés devant le grand bâtiment de grès qui arborait fièrement
« Aux délices d’Égée » sur sa façade vernie par le sel. Au-dessous,
des mortels fourmillaient déjà dans l’entrepôt et la boutique comme des
insectes du même nom sur un morceau de sucre. Des manutentionnaires
déchargeaient et entreposaient les poissons du jour, d’autres mettaient en branle
les commandes habituelles, et les étals étaient remplis de fruits fraichement
pêchés et qui ne demandaient qu’à être vendus au plus affamé.
Pour un
dimanche, il y a tout de même un sacré paquet d’amateurs, se dit Poséidon,
satisfait du succès in fine de sa reconversion.
Sur un des
chalutiers, occupés à ranger filets et cordages, Elias l’aperçut et lui fit un
signe de la main. Elias était un bon gars, un marin travailleur aux mains
calleuses et aux bras solides, et dont le regard reflétait une impressionnante
et totale absence d’intelligence. Si les yeux sont le miroir de l’âme, celui-là
ne réfléchissait pas beaucoup. Il avait le tain pâle, diront-nous. Néanmoins,
c’était un garçon adorable, souriant et volontaire, et qui, plus important, ne
rechignait jamais à s’acquérir de sa tâche au-delà des espérances.
« Hé
patron ! s’écria-t-il en cyrillique. Vous dormez pas ?
- Si, si,
répondit Poséidon naturellement, mais en tant que Dieu omnipotent je peux me
projeter astralement à peu près n’importe où.
- Ah… C’est
pratique ça. »
Non, briller
par son enthousiasme ne faisait pas de lui une lumière.
« Je
plaisante Élias. Je dois rejoindre un ami au zoo, j’ai fait un petit détour
pour vous voir travailler.
- Ah, c’est
bien ça. Et comment on s’en sort ?
- À la perfection.
Y’a rarement autant de monde, même en semaine. Tant que j’y pense Élias, tu
pourras me mettre du tarama de saumon et de la brandade de côté, je vais à une
fête ce soir, je voudrais pas arriver les mains vides. Je viendrais les
chercher en fin d’aprem.
- Ca sera fait,
j’oublierai pas.
- Oh, je le
sais bien, c’est même ta principale qualité. Allez, à ce soir, bonne
journée !
- Bonne
journée patron. »
Et il
repartit en sifflotant en direction du centre ville.
Il était
environ 11h lorsqu’il atteignit les grilles du zoo municipal, judicieusement
rebaptisé « Le Labyrinthe de Pan » par de facétieux cinéphiles. Sa réputation et sa taille en avait
fait une attraction touristique plutôt prisée, et de nombreux visiteurs
attendaient déjà patiemment l’ouverture des portes qui n’aurait lieu qu’une
heure plus tard. Poséidon, lui, était le fournisseur de poisson officiel du
zoo, et un ami personnel du patron, et les gars de la sécurité (des faunes sous
leur forme humaine) lui ouvrirent spontanément à son approche en lui lançant un
« bonjour » au fort relent de bouc.
« Le
taulier est là ? demanda
Poséidon à celui qui sentait le moins mauvais de la bouche.
- Au bâtiment
des sir… Au bâtiment des sirènes. C'est le bordel aujourd'hui, on a une crise de jalousie et un satyre qui a voulu se rincer l'oeil cette nuit. Vous savez ce que c'est, les jolies filles, ça attire toujours des problèmes.
- Oui, je
connais ça oui. Allez bonne journée.
- À vous
aussi. »
Poséidon
connaissait bien les lieux, et il s’avança d’un pas décidé dans les allées du
parc. La matinée bien avancée, les animaux finissaient leur phase de
déguisement. Ils se débarrassaient de l’apparence mythologique naturelle qu’ils
avaient reprise durant la nuit, et revêtaient une forme plus conforme à leur vie
dans le monde contemporain.
Dans son
enclos, le Minotaure était redevenu un magnifique auroch sauvage noir et brun.
Un peu plus loin, Cerbère s’était divisé en trois lycaons qui se disputaient un
os. Dans le quartier des équidés,
quelques centaures faisaient l’appel et donnaient à manger aux chevaux d’Augias
avant de quitter leur torse humain pour la journée. À quelques encolures de là,
Pégase broutait paisiblement, ses ailes presque entièrement résorbées, alors
que de longues zébrures noires commençaient à se peindre sur ses flancs.
Puis Poséidon
atteignit le quartier marin, délimité par une grande façade de pierre grise, elle-même
ornée d’une sculpture en bas-relief à sa propre effigie. Pas foncièrement
réussie d’ailleurs. Avec sa barbe exagérément longue et son casque étrange sur
la tête, il ressemblait à un croisement improbable entre Gandalf et un
spartiate.
Une cavalcade
le sortit de ses pensées. Devant lui, des licornes retardataires plongeaient
dans leur bassin et se changeaient en narvals au contact de l’eau. À trop
batifoler en nocturne avec leurs congénères équestres, elles en oubliaient
parfois qu’elles n’étaient pas censées passer la journée sur la terre ferme.
Enfin, il aperçut
le directeur des lieux à une dizaine de mètres de là, sortant nonchalamment de
l’enceinte du bassin des dauphins, a.k.a les sirènes sous leur apparence
publique (il s’était d’ailleurs souvent demandé pourquoi elles tenaient tant à
masquer leurs écailles sous une peau lisse de mammifère, mais il estimait maintenant que leur
coquetterie naturelle et leur fierté excluait la transformation en truite ou en
poisson rouge)
« Pan
Pan ! apostropha-t-il son ami, qui leva les yeux et sourit immédiatement.
- Ohhh, Po
Po ! La journée commence bien finalement ! »
Pan s’avança
d’un pas sautillant vers son ex-Dieu de compagnon tout en fourrant quelques
papiers administratifs dans ses poches.
C’était
depuis plus de 2000 ans un jeune homme svelte, agile, et qui semblait monté sur
ressort, même depuis qu’il avait définitivement opté pour les jambes humaines.
Il avait un visage fin et doux, des yeux en amande, et une chevelure dense et
bouclée cachant les deux minuscules cornes qu’il n’avait pu se résoudre à faire
retirer, magiquement ou chirurgicalement. C’aurait pu être un bel éphèbe prompt
à séduire les filles, s’il n’avait pas eu les dents pointues et les ongles
toujours sales, et surtout s’il n’avait pas arboré une toison démesurément
fournie à faire pâlir tous les portugais de la terre. Si ses épaules, ses mains
et son visage n’avaient pas été épargnés, on aurait pu aisément le prendre pour
un loup-garou.
Mais que
voulez-vous, on ne se refait pas.
« Comment
ça va, mon poulet ? commença-t-il en accordant une accolade virile et
amicale à Poséidon.
- Comme un
dimanche, répondit celui-ci, comme un dimanche. Alors il paraît que tu as des
problèmes avec tes locataires ?
- Boarf,
c’est vite réglé en général, quelques remontrances, une mise à pied, la dure
routine d’un directeur de zoo. »
« Ca
aurait pu être pire, ajouta-t-il en rigolant, j’aurais pu tenir un cirque. Je
dois passer au vivarium, Lerne a eu des petits hier, tu m’accompagnes ?
- Avec
plaisir. C’est la première naissance d’Hydre en captivité non ? C’est bien
ça pour le zoo.
- Oui enfin
c’est juste pour notre fierté personnelle, pour le grand public c’est juste un
anaconda de Guyane qui a mis bas.
- On s’en
moque du grand Public, pour le Conseil d’Olympie c’est une grande nouvelle,
c’est tout ce qui importe.
- C’est pas
faux. »
« Merci
pour les ouananiches d’ailleurs, enchaîna Pan en passant devant un panneau
indiquant les enclos des plantigrades, les ours ont adoré, ils ont arrêté de
nous pomper l’air.
- Ah c’est
Neptune qu’il faut remercier pour ça, rectifia Poséidon, mais je lui ferai passer le message.
- Mais, il
était pas dans les piscines et les parcs aquatiques lui maintenant ?
- Oh si,
depuis 50 ans déjà, mais il a gardé ses contacts en Amérique du Nord. C’est
pratique ça me permet d’avoir des exclusivités sur toute la côte. Oh la
vache ! »
Il venait de
s’arrêter net, devant une sculpture qui trônait au milieu d’une sorte de
carrefour faisant la jonction entre « les mammifères d’Europe » et
« Les félins du monde ». Incapable de s’arrêter aussi sèchement sans
rencontrer le sol dans la seconde qui suivait, Pan décéléra en quelque pas et
se retourna vers son ami, curieux de savoir ce qui le soufflait à ce point.
« T’as
un Médusa original dans ton zoo ! s’extasiait Poséidon. Mais c’est
fou ! Comment t’as eu ça ? »
L’objet du
délit était une sculpture en pierre de 2m30 de haut, infiniment détaillée, où
se mêlaient différentes formes animales fièrement dressées, qui émergeaient du
socle de racines et de tentacules posé sur le piédestal. On les aurait cru
rassemblés entre eux jusqu’à se fondre dans la même base.
« C’est
elle qui l’a réalisé exprès pour le zoo, répondit Pan non sans fierté. Hé hé,
ça sert de garder un bon contact avec ses ex.
- Ca doit
valoir une fortune sur le marché de l’art ça, surtout vu sa cote actuelle…
- C’est sûr.
Mais je compte pas le revendre hein, tu penses ça fait une sacré plus-value
pour le parc. Et puis ça se fait pas.
- Nan, nan,
c’est sûr. Putain je suis sur le cul là. Dans les rouleaux. »
Il marchèrent
quelques mètres dans un silence respectueux, avant qu’une nouvelle idée ne
vienne à l’esprit de Poséidon.
« Au
fait en parlant de contact, tu sais ce que devient Arès ?
- Non,
dis-toi que j’ai pas eu de nouvelles depuis facile les années 50. Personne sait
trop où il en est. Je sais qu’il avait quitté l’armée après la Seconde Guerre Mondiale, je crois qu’il s’était barré aux States. Y’a pas mal de rumeur comme
quoi il aurait intégré la CIA quelques années après sa création. Si c’est le
cas, ça m’étonnerait pas qu’il soit à la direction maintenant.
- Oulah, Arès
en Maître du Monde, ça va pas plaire à son paternel.
- Oh, à mon
avis il a autre chose à foutre Zeus, surtout en ce moment. Oh, putain, ils font
chier… »
Cette fois-ci
c’était au tour de Pan de s’arrêter en pleine marche et en pleine discussion.
Bien moins brutalement que son collègue cependant, ce qui permit à Poséidon
d’appréhender le ralentissement et de suivre le regard du Dieu directeur.
Celui-ci fixait une grande cage qui portait l’inscription « Lions d’Asie,
espèce menacée ». À l’intérieur de celle-ci, deux lions étaient
effectivement affalés l’un sur l’autre et dormaient profondément. À première
vue. En y regardant de plus près, on s’apercevait bien vite que le premier
arborait un splendide buste de femme noyé sous une chevelure rousse, d’une
beauté qui dépassait l’entendement (et pourtant l’entendement c’est déjà pas
mal), et que le second, quant à lui, affichait un faciès fortement humain (et
fortement laid également), ainsi qu’une queue chitineuse se terminant par un
magnifique aiguillon mordoré. La Sphinx, et une Manticore. En regardant attentivement
on pouvait également distinguer les ailes d’aigle grossièrement dissimulées
sous le pelage du premier animal.
« Oh,
les gars ! les invectiva Pan, on se réveille là !
- Ben ils
sont pas déguisés normalement ces deux-là ?
- Mais si,
mais ces cons en font qu’à leur tête, ils se sont encore torché la gueule toute
la nuit en jouant aux devinettes, c’est pas la première fois, allez bougez-vous
le derche espèce d’enfoirés, c’est pas comme si on ouvrait dans 30 mn !
J’imagine bien la gueule des mômes en découvrant une paire de nichons et une
bouche en cœur sur le corps d’un lion d’Afrique, tiens.
- Ca va, ça
va, grommela la Sphinx en ouvrant péniblement les yeux, on s’y met, fais pas
chier on est dans les temps, et crie pas comme ça tu me fais mal aux cheveux.
- Et on est
des lions d’Asie, précisa la Manticore pendant que son visage reprenait déjà
lentement sa forme animale, c’est comme le Pirée, c’est marqué sur le côté…
- C’est ça
faites les malins… Cuvez votre vin toute la journée si ça vous chante, mais pas
en mode cryptozoologie ! »
Et il quitta
dans une engueulade sonore le pavillon des félins pour entrer dans
« Orient Express », suivi de près par Poséidon qui avait repris le
train de la marche, très amusé de voir ce frêle esquif gronder comme un paquebot.
Pan fulminait d’ailleurs en maugréant comme une tuyère souffreteuse.
« Remets-toi,
va, fit-il pour le calmer, t’as frôlé la catastrophe, mais tout rentre dans
l’ordre. Tiens, je vais te changer les idées, j’étais venu pour ça à la base,
tu fais quelque chose ce soir ? Ca te dit de venir faire la plus grande
fête de ce siècle, et sûrement des précédents ?
- Je suis
déjà au courant Posé, répondit Pan du tac au tac, bien sûr que je viens à la
coloc ce soir, c’est prévu depuis un bail.
- Ahhh purée,
mais je me retrouve toujours comme un con à pas être au courant de ce qui se
passe aussi. Je suis venu pour rien du coup…
- Mais non,
t’es venu me dire bonjour, c’est pas rien, ça me touche beaucoup tu sais.
- Ouais ben
compte pas sur moi pour te toucher plus, rigola Poséidon, c’est plus la mode
ici, salut Ganesh ! Ca va ? »
De son
enclos, Ganesh lui adressa un signe de trompe et s’approcha des deux compères
qui longeaient la barrière de sécurité.
« Salut
Posé ! lança-t-il. Ca va tranquille, la belle vie.
- Tiens, j’en
profite, si tu fais rien ce soir, on fête la crémaillère de Bacchus et Dyo, tu
es le bienvenue.
- Boarf, tu
sais, moi, ça fait si longtemps que je suis sous forme animale, je sais même
pas si je saurais me remettre debout.
- Bah viens
comme ça, c’est grand chez eux.
- Ca risque
d’être voyant sur l’autoroute. Bon, je vais voir, je te tiens au courant.
- Pas de
soucis, bonne journée mon gros vernaculaire ! »
Ils se
remirent en route alors que Ganesh leur propulsait de l’eau dessus en râlant
gentiment : « Je ne suis pas gros, c’est la taille normale d’un
éléphant. »
« Tu
sais si les tauliers seront là ce soir, d’ailleurs ? enchaîna Pan en
s’essuyant la chemise
- Jamais
pendant le service, c’est marqué dans le contrat… Blague à part, y’a pas intérêt
que Lui se ramène en tout cas, parce que je te garantis que je vais faire la
gueule moi. C’est bon, il prend déjà toute la couverture à lui, il va pas venir
nous narguer pendant qu’on est entre nous.
- Tu crois
pas que t’en fais un peu trop, non ? Chacun son tour hein, dis toi qu’il a
quand même du mérite à s’occuper de tout quasiment tout seul.
- S’occuper
de tout ? Me fais pas marrer… Déjà c’est pas le cas, mais en plus Dieu
c’est pas un boulot de fonctionnaire derrière son bureau, y’a un standing à avoir,
c’est comme les révolutions, y’a ceux qui en parlent et ceux qui les font. Sans
déconner, à notre époque on avait la classe. Des casques, des armes, et on
était gaulés comme des top models ou des armoires à glace. Des Dieux
quoi ! Lui il ressemble au Père Noël et son fils à un hippie. Nous on
parlait aux mortels, on intervenait, on se matérialisait en animaux. Le mieux
qu'il puisse faire c’est faire apparaître la silhouette du baba cool dans le cul
d’un chien ou sur des tartines grillées.
- Il a fait
suinter du sang à des statues aussi.
- Ouais, et
puis de l’huile à des tableaux de la Vierge. Non mais quoi, c’est un Dieu ou un
épicier ? Ca montre bien l’investissement. Il y met à peu près
l’enthousiasme d’un mormon à une soirée open bar. Et c’est à cause de ça qu’on
s’est retrouvé au chômage, putain, ça me casse les bulots, rupture de contrat
parce qu’un rigolo a sorti le concept de Dieu unique.
- Nan mais
Posé, tu parles de contrat, c’était une des clauses, hein, c’était bien clair,
tu bosses tant qu’assez de mortels te vénèrent et croient en toi. Si c’est plus
le cas, ben t’es remplacé, et tu laisses faire la nouvelle génération. T’as
signé, t’assumes. C’est sûr que ça fait un peu chier de le voir toujours en
place après plus de 2000 ans quand on a bossé que quelques siècles, mais bon,
comme je le dis toujours, faut savoir le prendre avec philosophie.
- Demander à
un Dieu de prendre quelque chose avec philosophie, c’est comme proposer à Cyril
Lignac un partenariat avec MacDonalds hein…
- Ben tu
vois, t’es peut-être plus en fonction, mais t’as gardé un sacré sens de
l’humour par rapport à l’actuel patron, conclut Pan en clignant de l’œil.
Personne
n’est parfait, même pas Dieu.
- Ca c’est
sûr. Si Dieu était parfait, il aurait pas créé l’Homme. Surtout à son image…
C’est pas la joie pour Allah aussi quand j’y pense…
- Il sera pas
là ?
- Avec les
guerres, les révolutions, et les abrutis qui s’entretuent et bombent à tout va en
son nom ? Il s’en sort plus, il sait plus où donner de la tête. On dirait
un surveillant dans un jardin d’enfants en train d’essayer d’empêcher les mômes
de s’envoyer dans la gueule les billes qu’il leur avait données pour jouer. Il
est un peu dépressif même. Il a l’impression d’avoir merdé quelque part.
- Mais non,
il est pas responsable de la connerie humaine hein, lui il a fait son boulot,
et bien en plus, si y’a une poignée de connards qui comprennent tout de
travers, c’est pas de sa faute. Et puis y’a toujours une période dans
l’histoire des religions où ça merde un peu, regarde l’Autre à l’époque de
l’Inquisition, des Croisades et de la Saint Barthélémy.
- Ben ouais,
c’est ce que je lui ai dit. Mais ça lui fout un coup au moral quand même…
- Je suis sûr
que ça s’arrangera.
- Tiens
d’ailleurs, en parlant de Dieu dans la merde, t’as entendu ce qui est arrivé au
Zeus de Terre 3 ?
- Le plan où
c’est encore eux les tauliers ?
- Ouais. Il
s’est fait virer sur Terre dans une dépouille mortelle. Comme à la bonne
époque. Comme le nôtre aussi d'ailleurs. Mais dans le monde contemporain, il
s’est retrouvé complètement paumé, tu penses, il a pas l’habitude. Du coup il
s’est mis en mode automatique, il a essayé d’engrosser des humaines comme
avant.
- En se
transformant en animaux et tout ?
- Ben oui
sauf que comme sa meuf l’a viré sans pouvoirs, il a dû se débrouiller avec les
moyens du bord.
- Oh le con,
piaffa Pan en démarrant un fou rire.
- Il paraît
que c’était super crade, continua Poséidon entre deux rires. Enfin bon, il a
fini par pouvoir remonter. Mais en laissant des rejetons derrière apparemment.
Ca va être fendard à suivre ça encore.
- Hé hé,
c’est génial… Ca va être l’anecdote à raconter de la soirée ça, ça va tourner
comme une légende. Tu sais qui vient d’ailleurs ?
- Heuuuu, à
peu près. Les Egyptiens seront là je crois, j’ai eu Seth hier, il veut amener
des papyrus érotiques d’époque, ça peut être rigolo. Chez les Gaulois, Toutatis
sera là, Taranis et Bénélos aussi. Y’aura aussi Shivah.
- Y’a intérêt
à la faire boire alors, si elle se met à danser nue sur les tables comme
l’année dernière, je serais officiellement le Dieu le plus heureux de la terre.
- Hé hé…
Après, chez nous et les Romains, à part Zeus qui est encore en tournée jusqu’à
Septembre, et quelques autres qui ont des impondérables, on devrait tous être
là. Et entre Artémis, Athéna, Aphrodite, crois-moi que comme disent les
humains, va y avoir de la meuf.
- Ouais,
vivement. Et Odin et sa clique, ils seront là.
- Odin c’est
tendu pour lui en ce moment. Son fils a eu la mauvais idée d’aller sur Ébénor,
on lui avait dit que c’était un plan où tous les Dieux étaient encore en
fonction, ce qui savait pas c’est qu’ils étaient devenus des proies à chasser
et à mettre derrière une cage. De simples animaux pour les humains. Et pas
aussi bien traités que chez toi, crois-moi. Du coup il s’est fait choper, et
maintenant son père essaie de faire jouer ses relations diplomatiques, mais ça
risque d’être compliqué, sur Ébénor, c’est vraiment les humains qui dirigent.
- Putain, ça
craint.
- Ben ouais,
mais il aurait dû mieux se renseigner avant aussi, il est con.
- Tu vois,
dis-toi que t’es pas si mal loti, c’est quand même la belle vie ici, t’es
immortel, t’es invincible, mais t’as quasiment plus de responsabilités
cosmiques, t’as une entreprise qui tourne bien, tu fais ce que tu aimes, et tu
as des amis de partout. Regarde ce soir ça va être une orgie que Caligula
aurait même pas imaginée dans ses rêves les plus visqueux. C’est la belle vie
mec !
- C’est vrai.
C’est vrai putain… »
Ils
atteignaient enfin le grand bâtiment envahi de fausse lianes et racines où
s’étalait en lettres de bois « le Royaume des sang-froids ». Artémis,
le vétérinaire, attendait patiemment devant la porte, mâchonnant nonchalamment
ce qui ressemblait à un chewing-gum. En apercevant Pan et Poséidon, il leur fit
un signe de la main avec un clin d’œil qui disait clairement « hé, je sais
que vous pensez comme moi les gars, ce soir, c’est Byzance et Sodome réunies ».
Alors qu’ils
approchaient à grand pas d’Artémis qui s’étirait, Pan pris son ami par l’épaule.
« Allez,
soit heureux mon ami, tu veux venir voir les petits de Lerne ?
- Ben écoute,
sur le principe, ça me plairait, mais en fait tu m’as remonté le moral là, j’ai
envie d’aller faire quelque chose de ma journée. Je sais pas encore quoi, mais
je vais profiter du beau temps.
- T’as bien
raison va. On se voit ce soir de toute façon.
- Ouais, à ce
soir. Prends bien soin de notre hydre préférée. Comment vous allez les appeler,
les chiards ?
- On a
quelques idées. Ophobe et Omel par exemple.
- Ha ha, très
bon. Bon allez, je te laisse. On se voit se soir Arté, hein ! Amusez-vous bien les amis. »
Il quitta ses
amis et repartit en direction de l’entrée d’un pas guilleret. Les premiers
visiteurs commençaient à déambuler dans les allées, s’extasiant devant les
merveilles déguisées de la nature, sentant peut-être la puissance mythologique
derrière les morphologies habituelles. Il se sentait mieux. Il avait envie de
sourire, et de passer une bonne après-midi. Après une intense autant que brève réflexion,
il décida qu’il irait sur la plage aujourd’hui, c’était certainement une très bonne occasion
pour regarder quelques naïades se faire dorer la raie sous le soleil d’Athènes.
Oui,
décidemment, ça allait être une bonne journée.
FIN
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire