mardi 10 janvier 2012

Tzatziki et Œuf d'Olympe [Corvis]


TZATZIKI ET ŒUF D’OLYMPE

Le soleil était déjà haut dans le ciel, et bas dans son estime, quand Poséidon se leva de la baignoire en fonte qui lui servait de lit.  Depuis que l’astre était passé de ‘Dieu’ à ‘gigantesque boule de gaz en fusion’, il était aussi passé de collègue à simple emmerdement matinal, et le maître des mers n’éprouvait pour lui aucune sympathie, si ce n’est concernant le séchage de la morue (point sur lequel bien des magazines féminins s’étaient mis d’accord, ajoutait-t-il pour lui même en ricanant).
Il aurait pu placer des volets, voire des stores électriques, mais sans ce réveil naturel il avait trop peur de ronfler des bulles ad libitum au milieu des sels de bain.
C’est que ça a le sommeil lourd un Dieu, et plus persistant qu’un larsen après un concert de louanges (d’ailleurs à ce jeu là, Gros Bouddha les battait tous à plate couture, même les statues qui le représentaient étaient couchées).
Le disque solaire lui était nécessaire, donc, mais ça n’allait pas l’empêcher de râler de bon cœur tous les matins quand un rayon finissait par se jeter sauvagement sur une de ses paupières endormies.
Et ce jour là, c’était dimanche, il ne s’était pas couché aux aurores après une pêche nocturne, mais bien la veille au soir, et il aurait espéré qu’un bon ciel nuageux le laisse roupiller au moins jusqu’à midi.
Las, les rais de lumière dardaient dans sa chambre comme les tétons d’Aphrodite, il était définitivement temps de sortir du bain.
Qui plus est, il avait décidé aujourd’hui de rendre visite à un ami, alors autant se tsunamer le bénitier sans attendre.


Il sortit donc de la baignoire en maugréant, une eau délicatement salée ruisselant sur son corps imberbe, dégoulinant en longues cascades de sa barbe grise et bouclée avant d’éclater en clapotis sur le sol de mosaïque.
Depuis sa retraite forcée, il avait perdu un peu de masse et de puissance physique, mais il restait, si l’on puit dire, dans une forme olympienne.
Quelques étirements, des ablutions, un séchage à la conque, un secouage de bigorneau, une panoplie de marin enfilée,  quelques flocons dans l’aquarium d’Ulysse et Jason, un bol d’ambroisie chocolat englouti, et il fut sur le perron de sa modeste villa, les narines pleines des embruns piscicoles du port d’Athènes qui s’étalait nonchalamment en contrebas.
Comme il descendait vers la mer, il se remémora non sans nostalgie la glorieuse époque du Gang du Soleil. Ra, Hélios, Sol, Huitzilopochtli et les autres, une équipe soudée, de divins compagnons, toujours prêts à s’entraider quand leur peuple avait quelques problèmes de respect d’autorité, ou à faire bronzer Poséidon plus que de raison quand il s’était assoupi au coin d’une crique.
C’était le bon temps.
Enfin, toutes les bonnes choses ont une fin, et cette ère-là était révolue.
Le port d’Athènes atteint, il en profita pour jeter un coup d’œil au travail de ses employés dominicaux. La mer était d’huile, la pêche avait dû être sereine, et effectivement, une demi-douzaine d’ouvriers s’activaient à briquer le pont des chalutiers, amarrés devant le grand bâtiment de grès qui arborait fièrement « Aux délices d’Égée » sur sa façade vernie par le sel. Au-dessous, des mortels fourmillaient déjà dans l’entrepôt et la boutique comme des insectes du même nom sur un morceau de sucre. Des manutentionnaires déchargeaient et entreposaient les poissons du jour, d’autres mettaient en branle les commandes habituelles, et les étals étaient remplis de fruits fraichement pêchés et qui ne demandaient qu’à être vendus au plus affamé.
Pour un dimanche, il y a tout de même un sacré paquet d’amateurs, se dit Poséidon, satisfait du succès in fine de sa reconversion.
Sur un des chalutiers, occupés à ranger filets et cordages, Elias l’aperçut et lui fit un signe de la main. Elias était un bon gars, un marin travailleur aux mains calleuses et aux bras solides, et dont le regard reflétait une impressionnante et totale absence d’intelligence. Si les yeux sont le miroir de l’âme, celui-là ne réfléchissait pas beaucoup. Il avait le tain pâle, diront-nous. Néanmoins, c’était un garçon adorable, souriant et volontaire, et qui, plus important, ne rechignait jamais à s’acquérir de sa tâche au-delà des espérances.

« Hé patron ! s’écria-t-il en cyrillique. Vous dormez pas ?
- Si, si, répondit Poséidon naturellement, mais en tant que Dieu omnipotent je peux me projeter astralement à peu près n’importe où.
- Ah… C’est pratique ça. »

Non, briller par son enthousiasme ne faisait pas de lui une lumière.

« Je plaisante Élias. Je dois rejoindre un ami au zoo, j’ai fait un petit détour pour vous voir travailler.
- Ah, c’est bien ça. Et comment on s’en sort ?
- À la perfection. Y’a rarement autant de monde, même en semaine. Tant que j’y pense Élias, tu pourras me mettre du tarama de saumon et de la brandade de côté, je vais à une fête ce soir, je voudrais pas arriver les mains vides. Je viendrais les chercher en fin d’aprem.
- Ca sera fait, j’oublierai pas.
- Oh, je le sais bien, c’est même ta principale qualité. Allez, à ce soir, bonne journée !
- Bonne journée patron. »

Et il repartit en sifflotant en direction du centre ville.

Il était environ 11h lorsqu’il atteignit les grilles du zoo municipal, judicieusement rebaptisé « Le Labyrinthe de Pan » par de facétieux cinéphiles.  Sa réputation et sa taille en avait fait une attraction touristique plutôt prisée, et de nombreux visiteurs attendaient déjà patiemment l’ouverture des portes qui n’aurait lieu qu’une heure plus tard. Poséidon, lui, était le fournisseur de poisson officiel du zoo, et un ami personnel du patron, et les gars de la sécurité (des faunes sous leur forme humaine) lui ouvrirent spontanément à son approche en lui lançant un « bonjour » au fort relent de bouc.

« Le taulier est là ?  demanda Poséidon à celui qui sentait le moins mauvais de la bouche.
- Au bâtiment des sir… Au bâtiment des sirènes. C'est le bordel aujourd'hui, on a une crise de jalousie et un satyre qui a voulu se rincer l'oeil cette nuit. Vous savez ce que c'est, les jolies filles, ça attire toujours des problèmes.
- Oui, je connais ça oui. Allez bonne journée.
- À vous aussi. »

Poséidon connaissait bien les lieux, et il s’avança d’un pas décidé dans les allées du parc. La matinée bien avancée, les animaux finissaient leur phase de déguisement. Ils se débarrassaient de l’apparence mythologique naturelle qu’ils avaient reprise durant la nuit, et revêtaient une forme plus conforme à leur vie dans le monde contemporain.
Dans son enclos, le Minotaure était redevenu un magnifique auroch sauvage noir et brun. Un peu plus loin, Cerbère s’était divisé en trois lycaons qui se disputaient un os.  Dans le quartier des équidés, quelques centaures faisaient l’appel et donnaient à manger aux chevaux d’Augias avant de quitter leur torse humain pour la journée. À quelques encolures de là, Pégase broutait paisiblement, ses ailes presque entièrement résorbées, alors que de longues zébrures noires commençaient à se peindre sur ses flancs.
Puis Poséidon atteignit le quartier marin, délimité par une grande façade de pierre grise, elle-même ornée d’une sculpture en bas-relief à sa propre effigie. Pas foncièrement réussie d’ailleurs. Avec sa barbe exagérément longue et son casque étrange sur la tête, il ressemblait à un croisement improbable entre Gandalf et un spartiate.
Une cavalcade le sortit de ses pensées. Devant lui, des licornes retardataires plongeaient dans leur bassin et se changeaient en narvals au contact de l’eau. À trop batifoler en nocturne avec leurs congénères équestres, elles en oubliaient parfois qu’elles n’étaient pas censées passer la journée sur la terre ferme.
Enfin, il aperçut le directeur des lieux à une dizaine de mètres de là, sortant nonchalamment de l’enceinte du bassin des dauphins, a.k.a les sirènes sous leur apparence publique (il s’était d’ailleurs souvent demandé pourquoi elles tenaient tant à masquer leurs écailles sous une peau lisse de mammifère,  mais il estimait maintenant que leur coquetterie naturelle et leur fierté excluait la transformation en truite ou en poisson rouge)

« Pan Pan ! apostropha-t-il son ami, qui leva les yeux et sourit immédiatement.
- Ohhh, Po Po ! La journée commence bien finalement ! »

Pan s’avança d’un pas sautillant vers son ex-Dieu de compagnon tout en fourrant quelques papiers administratifs dans ses poches.
C’était depuis plus de 2000 ans un jeune homme svelte, agile, et qui semblait monté sur ressort, même depuis qu’il avait définitivement opté pour les jambes humaines. Il avait un visage fin et doux, des yeux en amande, et une chevelure dense et bouclée cachant les deux minuscules cornes qu’il n’avait pu se résoudre à faire retirer, magiquement ou chirurgicalement. C’aurait pu être un bel éphèbe prompt à séduire les filles, s’il n’avait pas eu les dents pointues et les ongles toujours sales, et surtout s’il n’avait pas arboré une toison démesurément fournie à faire pâlir tous les portugais de la terre. Si ses épaules, ses mains et son visage n’avaient pas été épargnés, on aurait pu aisément le prendre pour un loup-garou.
Mais que voulez-vous, on ne se refait pas.

« Comment ça va, mon poulet ? commença-t-il en accordant une accolade virile et amicale à Poséidon.
- Comme un dimanche, répondit celui-ci, comme un dimanche. Alors il paraît que tu as des problèmes avec tes locataires ?
- Boarf, c’est vite réglé en général, quelques remontrances, une mise à pied, la dure routine d’un directeur de zoo. »
« Ca aurait pu être pire, ajouta-t-il en rigolant, j’aurais pu tenir un cirque. Je dois passer au vivarium, Lerne a eu des petits hier, tu m’accompagnes ?
- Avec plaisir. C’est la première naissance d’Hydre en captivité non ? C’est bien ça pour le zoo.
- Oui enfin c’est juste pour notre fierté personnelle, pour le grand public c’est juste un anaconda de Guyane qui a mis bas.
- On s’en moque du grand Public, pour le Conseil d’Olympie c’est une grande nouvelle, c’est tout ce qui importe.
- C’est pas faux. »
« Merci pour les ouananiches d’ailleurs, enchaîna Pan en passant devant un panneau indiquant les enclos des plantigrades, les ours ont adoré, ils ont arrêté de nous pomper l’air.
- Ah c’est Neptune qu’il faut remercier pour ça, rectifia Poséidon, mais je lui ferai passer le message.
- Mais, il était pas dans les piscines et les parcs aquatiques lui maintenant ?
- Oh si, depuis 50 ans déjà, mais il a gardé ses contacts en Amérique du Nord. C’est pratique ça me permet d’avoir des exclusivités sur toute la côte. Oh la vache ! »

Il venait de s’arrêter net, devant une sculpture qui trônait au milieu d’une sorte de carrefour faisant la jonction entre « les mammifères d’Europe » et « Les félins du monde ». Incapable de s’arrêter aussi sèchement sans rencontrer le sol dans la seconde qui suivait, Pan décéléra en quelque pas et se retourna vers son ami, curieux de savoir ce qui le soufflait à ce point.

« T’as un Médusa original dans ton zoo ! s’extasiait Poséidon. Mais c’est fou ! Comment t’as eu ça ? »

L’objet du délit était une sculpture en pierre de 2m30 de haut, infiniment détaillée, où se mêlaient différentes formes animales fièrement dressées, qui émergeaient du socle de racines et de tentacules posé sur le piédestal. On les aurait cru rassemblés entre eux jusqu’à se fondre dans la même base.

« C’est elle qui l’a réalisé exprès pour le zoo, répondit Pan non sans fierté. Hé hé, ça sert de garder un bon contact avec ses ex.
- Ca doit valoir une fortune sur le marché de l’art ça, surtout vu sa cote actuelle…
- C’est sûr. Mais je compte pas le revendre hein, tu penses ça fait une sacré plus-value pour le parc. Et puis ça se fait pas.
- Nan, nan, c’est sûr. Putain je suis sur le cul là. Dans les rouleaux. »

Il marchèrent quelques mètres dans un silence respectueux, avant qu’une nouvelle idée ne vienne à l’esprit de Poséidon.

« Au fait en parlant de contact, tu sais ce que devient Arès ?
- Non, dis-toi que j’ai pas eu de nouvelles depuis facile les années 50. Personne sait trop où il en est. Je sais qu’il avait quitté l’armée après la Seconde Guerre Mondiale, je crois qu’il s’était barré aux States. Y’a pas mal de rumeur comme quoi il aurait intégré la CIA quelques années après sa création. Si c’est le cas, ça m’étonnerait pas qu’il soit à la direction maintenant.
- Oulah, Arès en Maître du Monde, ça va pas plaire à son paternel.
- Oh, à mon avis il a autre chose à foutre Zeus, surtout en ce moment. Oh, putain, ils font chier… »

Cette fois-ci c’était au tour de Pan de s’arrêter en pleine marche et en pleine discussion. Bien moins brutalement que son collègue cependant, ce qui permit à Poséidon d’appréhender le ralentissement et de suivre le regard du Dieu directeur. Celui-ci fixait une grande cage qui portait l’inscription « Lions d’Asie, espèce menacée ». À l’intérieur de celle-ci, deux lions étaient effectivement affalés l’un sur l’autre et dormaient profondément. À première vue. En y regardant de plus près, on s’apercevait bien vite que le premier arborait un splendide buste de femme noyé sous une chevelure rousse, d’une beauté qui dépassait l’entendement (et pourtant l’entendement c’est déjà pas mal), et que le second, quant à lui, affichait un faciès fortement humain (et fortement laid également), ainsi qu’une queue chitineuse se terminant par un magnifique aiguillon mordoré. La Sphinx, et une Manticore. En regardant attentivement on pouvait également distinguer les ailes d’aigle grossièrement dissimulées sous le pelage du premier animal.

« Oh, les gars ! les invectiva Pan, on se réveille là !
- Ben ils sont pas déguisés normalement ces deux-là ?
- Mais si, mais ces cons en font qu’à leur tête, ils se sont encore torché la gueule toute la nuit en jouant aux devinettes, c’est pas la première fois, allez bougez-vous le derche espèce d’enfoirés, c’est pas comme si on ouvrait dans 30 mn ! J’imagine bien la gueule des mômes en découvrant une paire de nichons et une bouche en cœur sur le corps d’un lion d’Afrique, tiens.
- Ca va, ça va, grommela la Sphinx en ouvrant péniblement les yeux, on s’y met, fais pas chier on est dans les temps, et crie pas comme ça tu me fais mal aux cheveux.
- Et on est des lions d’Asie, précisa la Manticore pendant que son visage reprenait déjà lentement sa forme animale, c’est comme le Pirée, c’est marqué sur le côté…
- C’est ça faites les malins… Cuvez votre vin toute la journée si ça vous chante, mais pas en mode cryptozoologie ! »

Et il quitta dans une engueulade sonore le pavillon des félins pour entrer dans « Orient Express », suivi de près par Poséidon qui avait repris le train de la marche, très amusé de voir ce frêle esquif gronder comme un paquebot. Pan fulminait d’ailleurs en maugréant comme une tuyère souffreteuse.

« Remets-toi, va, fit-il pour le calmer, t’as frôlé la catastrophe, mais tout rentre dans l’ordre. Tiens, je vais te changer les idées, j’étais venu pour ça à la base, tu fais quelque chose ce soir ? Ca te dit de venir faire la plus grande fête de ce siècle, et sûrement des précédents ?
- Je suis déjà au courant Posé, répondit Pan du tac au tac, bien sûr que je viens à la coloc ce soir, c’est prévu depuis un bail.
- Ahhh purée, mais je me retrouve toujours comme un con à pas être au courant de ce qui se passe aussi. Je suis venu pour rien du coup…
- Mais non, t’es venu me dire bonjour, c’est pas rien, ça me touche beaucoup tu sais. 
- Ouais ben compte pas sur moi pour te toucher plus, rigola Poséidon, c’est plus la mode ici, salut Ganesh ! Ca va ? »

De son enclos, Ganesh lui adressa un signe de trompe et s’approcha des deux compères qui longeaient la barrière de sécurité.

« Salut Posé ! lança-t-il. Ca va tranquille, la belle vie.
- Tiens, j’en profite, si tu fais rien ce soir, on fête la crémaillère de Bacchus et Dyo, tu es le bienvenue.
- Boarf, tu sais, moi, ça fait si longtemps que je suis sous forme animale, je sais même pas si je saurais me remettre debout.
- Bah viens comme ça, c’est grand chez eux.
- Ca risque d’être voyant sur l’autoroute. Bon, je vais voir, je te tiens au courant.
- Pas de soucis, bonne journée mon gros vernaculaire ! »

Ils se remirent en route alors que Ganesh leur propulsait de l’eau dessus en râlant gentiment : « Je ne suis pas gros, c’est la taille normale d’un éléphant. »

« Tu sais si les tauliers seront là ce soir, d’ailleurs ? enchaîna Pan en s’essuyant la chemise
- Jamais pendant le service, c’est marqué dans le contrat… Blague à part, y’a pas intérêt que Lui se ramène en tout cas, parce que je te garantis que je vais faire la gueule moi. C’est bon, il prend déjà toute la couverture à lui, il va pas venir nous narguer pendant qu’on est entre nous.
- Tu crois pas que t’en fais un peu trop, non ? Chacun son tour hein, dis toi qu’il a quand même du mérite à s’occuper de tout quasiment tout seul.
- S’occuper de tout ? Me fais pas marrer… Déjà c’est pas le cas, mais en plus Dieu c’est pas un boulot de fonctionnaire derrière son bureau, y’a un standing à avoir, c’est comme les révolutions, y’a ceux qui en parlent et ceux qui les font. Sans déconner, à notre époque on avait la classe. Des casques, des armes, et on était gaulés comme des top models ou des armoires à glace. Des Dieux quoi ! Lui il ressemble au Père Noël et son fils à un hippie. Nous on parlait aux mortels, on intervenait, on se matérialisait en animaux. Le mieux qu'il puisse faire c’est faire apparaître la silhouette du baba cool dans le cul d’un chien ou sur des tartines grillées.
- Il a fait suinter du sang à des statues aussi.
- Ouais, et puis de l’huile à des tableaux de la Vierge. Non mais quoi, c’est un Dieu ou un épicier ? Ca montre bien l’investissement. Il y met à peu près l’enthousiasme d’un mormon à une soirée open bar. Et c’est à cause de ça qu’on s’est retrouvé au chômage, putain, ça me casse les bulots, rupture de contrat parce qu’un rigolo a sorti le concept de Dieu unique.
- Nan mais Posé, tu parles de contrat, c’était une des clauses, hein, c’était bien clair, tu bosses tant qu’assez de mortels te vénèrent et croient en toi. Si c’est plus le cas, ben t’es remplacé, et tu laisses faire la nouvelle génération. T’as signé, t’assumes. C’est sûr que ça fait un peu chier de le voir toujours en place après plus de 2000 ans quand on a bossé que quelques siècles, mais bon, comme je le dis toujours, faut savoir le prendre avec philosophie.
- Demander à un Dieu de prendre quelque chose avec philosophie, c’est comme proposer à Cyril Lignac un partenariat avec MacDonalds hein…
- Ben tu vois, t’es peut-être plus en fonction, mais t’as gardé un sacré sens de l’humour par rapport à l’actuel patron, conclut Pan en clignant de l’œil.
Personne n’est parfait, même pas Dieu.
- Ca c’est sûr. Si Dieu était parfait, il aurait pas créé l’Homme. Surtout à son image… C’est pas la joie pour Allah aussi quand j’y pense…
- Il sera pas là ?
- Avec les guerres, les révolutions, et les abrutis qui s’entretuent et bombent à tout va en son nom ? Il s’en sort plus, il sait plus où donner de la tête. On dirait un surveillant dans un jardin d’enfants en train d’essayer d’empêcher les mômes de s’envoyer dans la gueule les billes qu’il leur avait données pour jouer. Il est un peu dépressif même. Il a l’impression d’avoir merdé quelque part.
- Mais non, il est pas responsable de la connerie humaine hein, lui il a fait son boulot, et bien en plus, si y’a une poignée de connards qui comprennent tout de travers, c’est pas de sa faute. Et puis y’a toujours une période dans l’histoire des religions où ça merde un peu, regarde l’Autre à l’époque de l’Inquisition, des Croisades et de la Saint Barthélémy.
- Ben ouais, c’est ce que je lui ai dit. Mais ça lui fout un coup au moral quand même…
- Je suis sûr que ça s’arrangera.
- Tiens d’ailleurs, en parlant de Dieu dans la merde, t’as entendu ce qui est arrivé au Zeus de Terre 3 ?
- Le plan où c’est encore eux les tauliers ?
- Ouais. Il s’est fait virer sur Terre dans une dépouille mortelle. Comme à la bonne époque. Comme le nôtre aussi d'ailleurs. Mais dans le monde contemporain, il s’est retrouvé complètement paumé, tu penses, il a pas l’habitude. Du coup il s’est mis en mode automatique, il a essayé d’engrosser des humaines comme avant.
- En se transformant en animaux et tout ?
- Ben oui sauf que comme sa meuf l’a viré sans pouvoirs, il a dû se débrouiller avec les moyens du bord.
- Oh le con, piaffa Pan en démarrant un fou rire.
- Il paraît que c’était super crade, continua Poséidon entre deux rires. Enfin bon, il a fini par pouvoir remonter. Mais en laissant des rejetons derrière apparemment. Ca va être fendard à suivre ça encore.
- Hé hé, c’est génial… Ca va être l’anecdote à raconter de la soirée ça, ça va tourner comme une légende. Tu sais qui vient d’ailleurs ?
- Heuuuu, à peu près. Les Egyptiens seront là je crois, j’ai eu Seth hier, il veut amener des papyrus érotiques d’époque, ça peut être rigolo. Chez les Gaulois, Toutatis sera là, Taranis et Bénélos aussi. Y’aura aussi Shivah.
- Y’a intérêt à la faire boire alors, si elle se met à danser nue sur les tables comme l’année dernière, je serais officiellement le Dieu le plus heureux de la terre.
- Hé hé… Après, chez nous et les Romains, à part Zeus qui est encore en tournée jusqu’à Septembre, et quelques autres qui ont des impondérables, on devrait tous être là. Et entre Artémis, Athéna, Aphrodite, crois-moi que comme disent les humains, va y avoir de la meuf.
- Ouais, vivement. Et Odin et sa clique, ils seront là.
- Odin c’est tendu pour lui en ce moment. Son fils a eu la mauvais idée d’aller sur Ébénor, on lui avait dit que c’était un plan où tous les Dieux étaient encore en fonction, ce qui savait pas c’est qu’ils étaient devenus des proies à chasser et à mettre derrière une cage. De simples animaux pour les humains. Et pas aussi bien traités que chez toi, crois-moi. Du coup il s’est fait choper, et maintenant son père essaie de faire jouer ses relations diplomatiques, mais ça risque d’être compliqué, sur Ébénor, c’est vraiment les humains qui dirigent.
- Putain, ça craint.
- Ben ouais, mais il aurait dû mieux se renseigner avant aussi, il est con.
- Tu vois, dis-toi que t’es pas si mal loti, c’est quand même la belle vie ici, t’es immortel, t’es invincible, mais t’as quasiment plus de responsabilités cosmiques, t’as une entreprise qui tourne bien, tu fais ce que tu aimes, et tu as des amis de partout. Regarde ce soir ça va être une orgie que Caligula aurait même pas imaginée dans ses rêves les plus visqueux. C’est la belle vie mec !
- C’est vrai. C’est vrai putain… »

Ils atteignaient enfin le grand bâtiment envahi de fausse lianes et racines où s’étalait en lettres de bois « le Royaume des sang-froids ». Artémis, le vétérinaire, attendait patiemment devant la porte, mâchonnant nonchalamment ce qui ressemblait à un chewing-gum. En apercevant Pan et Poséidon, il leur fit un signe de la main avec un clin d’œil qui disait clairement « hé, je sais que vous pensez comme moi les gars, ce soir, c’est Byzance et Sodome réunies ».
Alors qu’ils approchaient à grand pas d’Artémis qui s’étirait, Pan pris son ami par l’épaule.

« Allez, soit heureux mon ami, tu veux venir voir les petits de Lerne ?
- Ben écoute, sur le principe, ça me plairait, mais en fait tu m’as remonté le moral là, j’ai envie d’aller faire quelque chose de ma journée. Je sais pas encore quoi, mais je vais profiter du beau temps.
- T’as bien raison va. On se voit ce soir de toute façon.
- Ouais, à ce soir. Prends bien soin de notre hydre préférée. Comment vous allez les appeler, les chiards ?
- On a quelques idées. Ophobe et Omel par exemple.
- Ha ha, très bon. Bon allez, je te laisse. On se voit se soir Arté, hein !  Amusez-vous bien les amis. »

Il quitta ses amis et repartit en direction de l’entrée d’un pas guilleret. Les premiers visiteurs commençaient à déambuler dans les allées, s’extasiant devant les merveilles déguisées de la nature, sentant peut-être la puissance mythologique derrière les morphologies habituelles. Il se sentait mieux. Il avait envie de sourire, et de passer une bonne après-midi. Après une intense autant que brève réflexion, il décida qu’il irait sur la plage aujourd’hui, c’était  certainement une très bonne occasion pour regarder quelques naïades se faire dorer la raie sous le soleil d’Athènes.

Oui, décidemment, ça allait être une bonne journée.


FIN

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