Il était
une fois, au 23ème étage d’un HLM de Province, un inventeur en herbe
appelé M. Léonard, dont la dernière et formidable trouvaille promettait de rapporter
un maximum de pépettes…
Ce n’était
pas tous les jours que l’on découvrait un moyen de propulsion révolutionnaire! Ecologique par nature, inépuisable, gratuit, son moteur new-age avait tout pour conquérir le monde. Les rois du pétrole dans
leurs palais d’Orient n’avaient qu’à bien se tenir : sa Caca-Mobile© était sur le point de
casser la baraque ! Certes, quelques menus détails restaient à régler,
mais les grandes lignes de son projet étaient toutes tracées...
L’intrépide inventeur ne bénirait
jamais assez la gastroentérite carabinée qui lui avait donné matière à
réflexion. Coincé sur le trône toute une semaine durant, ses entrailles se
vidant sans discontinuer au prix de spasmes épuisants, M. Léonard avait réalisé
combien il était dommage de gaspiller autant d’énergie pour du vent. Un prout en
entraînant un autre, M. Léonard en était venu à penser avec compassion à tous
ces pauvres hères qui, dans tous les pays du globe, suaient chaque matin sur
leur trône avant de tirer négligemment la chasse, ne soupçonnant pas un seul instant
qu’ils jetaient des diamants aux
égouts. Dès son rétablissement, l’artiste s’était mis au travail avec
enthousiasme. Bien entendu, il avait puisé son inspiration dans le seul lieu au
monde qui convint à son sujet d’étude : les vécés. On ne pouvait pas y faire
rentrer une chaise, et encore moins un bureau, mais la lumière était bonne et
l’air toujours parfumé.
Durant quinze jours et quinze
nuits, M. Léonard ne quitta pas son cabinet. Il était capital, selon lui, de
raisonner dans les conditions du réel, or le prolo contemporain ne passait-il
pas un temps incroyable au volant de son véhicule, coincé dans les
embouteillages ? Bien que pétries d’inquiétude, son épouse et son imbécile
de fille se plièrent à ses caprices instructions, lui fournissant matériel,
nécessaire de toilette et nourriture. Malgré la fougue créatrice qui lui
retournait les boyaux, l’inventeur voulait prendre le temps de mûrir son projet,
car en matière d’automobile comme de transit, il convenait de ne point confondre
vitesse et précipitation.
« Eurêka ! » Un
matin, M. Léonard quitta son boudoir d’un air triomphal, brandissant un rouleau
de papier toilettes (senteur lavande) qui, tel un papyrus enroulé, contenait
les détails de son plan d’étude. Feu son
institutrice de mère aurait été fière de lui : sa longue et coûteuse formation
scientifique – trente ans d’abonnement à Science
et Vie Junior – n’avait pas été vaine ! Adoptant une approche purement
empirique de son sujet, notre Einstein des WC commença par stocker méthodiquement
ses selles, ainsi que celles de sa petite famille, au réfrigérateur. Mine de
rien au bout d’une semaine ça en faisait déjà un sacré paquet, si bien que la
famille Léonard dut se payer un second frigo, bientôt suivi d’un troisième.
Le banquier ayant du mal à saisir la raison de cette soudaine demande de prêt,
M. Léonard prétendit que sa femme attendait un heureux évènement, mensonge qui
aurait fort déplu à sa défunte maman, mais ses précieux cobayes méritaient bien
quelques entorses aux bonnes manières. Puis, en scientifique accompli, le
chercheur observa l’évolution naturelle de ses selles à l’air libre, autrement
dit dans les pots de fleurs du balcon – les voisins du dessous se
plaignirent de l’odeur, mais était-ce de sa faute s’il vivait en HLM ? –,
avant de leur faire subir toute une série de tests compliqués :
centrifugation à la machine-à-laver, explosion au pétard, chute du 23ème étage (« pardon, M. Patapon ! »), mixage au Mixor 8000, étalage
au rouleau à pâtisserie, séjour au four à micro-ondes… L’observation attentive –
et souvent salissante – des effets produits était saisissante, car outre le
fait que Mme Léonard réclamait un nouvel appareil électroménager après chaque expérience,
les résultats prouvaient que la combustion des excréments dégageait une quantité
phénoménale d’énergie… Les savants calculs qui en découlèrent furent formels :
pour peu qu’on leur fît subir un traitement adéquat, les excrétions fécales journalières
d’un adulte de poids moyen suffisaient à faire rouler une voiture durant une
centaine de kilomètres ! Le moteur carburant au caca était en marche… Les magnats
du pétrole ne s’en relèveraient jamais.
Ah, l’euphorie de l’esprit
triomphant, la joie du pionnier téméraire explorant des territoires
vierges où l’Homme n’avait jamais posé sa crotte ! Tout cela était grisant,
mais il restait à rendre ce merveilleux concept viable sur un plan économique...
En cette époque superficielle et décadente, les gens n’achetaient pas n’importe quoi. Le nom du produit
revêtait une importance capitale. Il fallait quelque chose d’à la fois cool,
accrocheur et facile à retenir… Un téléfilm retraçant la vie de Jean-Paul
II donna la solution à l’inventeur : son véhicule s’appellerait la CacaMobile©.
Autre élément à ne pas
négliger : le design – personne ne voudrait d’un véhicule ressemblant
à une moto-crotte. Après réflexion, M. Léonard choisit une Jaguar pour
modèle de base, parce que quitte à faire ses besoins dans une voiture, autant
qu’elle ait la classe. Concession inévitable, il faudrait troquer les traditionnels
sièges en cuir contre des trônes en émail. Convaincre M. Tout-le-monde de
conduire cul nu ne serait sans doute pas une mince affaire, mais M. Léonard avait
foi en l’évolution des mœurs. L’avantage d’un tel système de siège était
double : pouvoir faire le plein tout en conduisant et supprimer les pauses
pipi, chronophages s’il en était… Terminé le temps perdu dans des stations
services à l’hygiène souvent douteuse ! Désormais, toute la petite famille apporterait
sa contribution au voyage, dans la joie et la bonne humeur – M. Léonard
n’était pas peu fier d’ainsi abattre les barrières générationnelles. Aspirées
par des tuyaux ultramodernes, les aimables donations des passagers s’accumuleraient
dans la citerne, située à l’arrière du véhicule ; là, des bactéries triées
sur le volet les aideraient à fermenter, tandis qu’un système d’aération très
complexe se chargerait de retenir le précieux méthane – quant au pipi, au cas
où vous vous le demanderiez, il serait recyclé en liquide pour laver les
vitres. Une brève étincelle suffirait à enflammer le tout, produisant ainsi des
tonnes et des tonnes de kilojoules ! Une fois leur (com)mission accomplie, les
passagers seraient libres de glisser un coussin amovible sous leur postérieur, pour
plus de confort – parce que la lunette des toilettes, ainsi que le fit
judicieusement remarquer Mme Léonard, ça fait tout de même un peu mal au
derrière au bout d’un moment.
Voilà pour le gros du travail. Le
reste, c’était de la finition. Pour son voyage de noces, M. Léonard était parti
au Japon ; enfin presque : on lui avait offert une cassette vidéo consacrée
à ce curieux pays. L’époustouflante inventivité des WC nippons l’avait touché
jusque dans son âme – un petit jet d’eau s’occupait de laver vos sphincters
souillés, puis un mini-ventilateur les séchait, cependant que le trône, muni de
radiateurs miniatures, maintenait vos fesses au chaud –, aussi avait-il décidé
d’offrir les mêmes prestations dans son véhicule. A ce stade de perfection ce
n’était plus de la technologie, mais de l’Art ! Ainsi, M. Léonard envoya
des missives enflammées aux entreprises japonaises spécialisées dans les
toilettes de luxe (Kakakaki, Merdoku), leur présentant en détails son
faramineux projet. Curieusement, ses propositions révolutionnaires demeurèrent lettre
morte. L’espionnage industriel, sans doute. M. Léonard ne se laissa pas décourager
pour autant… La C.I.A. (Constipation International Agency, société
secrète dont le noir objectif était de répandre la constipation sur le monde)
aurait beau lui voler son courrier, jamais elle n’endiguerait les flots
déchaînés de sa créativité bouillonnante ! Aussi, avec une volonté assumée
de faire un pied de nez à l’Ennemi, l’inventeur en herbe proposa un partenariat
fort avantageux à une entreprise chère à son cœur…
L’heureuse élue se nommait Sell
et avait pour logo un étron souriant, en forme de coquillage. Au sein des
stations service de cette chaîne, les toilettes étaient toujours impeccables,
les prix souvent bas et, d’après ce que M. Léonard avait pu en lire dans les
journaux, il semblait s’agir d’une société très concernée par la protection de
l’environnement. Dans son courrier, l’inventeur envisageait la création de
stations d’un genre nouveau, où l’on ne vous nettoierait plus seulement le
pare-brise, mais également la cuvette des toilettes, le réservoir et, pourquoi
pas, le postérieur. On y trouverait des distributeurs de stimulants coliques (jus
d’orange, compotes de pruneaux, café, purges) permettant de dépanner le
conducteur à sec ; quant aux pétillants produits de la Caca-Cola
Company, ils feraient de formidables pourvoyeurs de gaz naturel.
Dire que la réponse le surprit
est encore loin de la vérité. Dans un français approximatif, un rustre chargé
de la « communication client » qualifiait son projet de hautement improbable et lui conseillait
de soigner son problème de stade anal ;
il concluait sur ces mots, d’ailleurs fort à propos : votre Caca-Mobile©, c’est
de la merde. « Mais justement ! s’était exclamé M.
Léonard, dépité. Justement ! »
Par la suite, divers autres partenaires
potentiels – Vérolia, Air-Biques, Connards WC – avaient dédaigné
son offre. Tant pis pour ces imbéciles… La fortune personnelle de M. Léonard
n’en serait que plus colossale !
Désireux de porter une touche
finale à sa création, l’inventeur décida de présenter ses plans à son abrutie
d’épouse. Un regard féminin, aussi myope fût-il, éclairerait son œuvre d’une
lumière nouvelle ; ainsi que le répétait son père, l’œil de ces gorgones n’était
réceptif qu’aux défauts.
La première réaction de Mme
Léonard fut un profond soulagement : elle n’aurait plus à empaqueter ses
selles dans des tuperwaere ! Cependant, bien que majoritairement séduite
par ce projet pour le moins original, elle mit le doigt sur quelques faiblesses...
Fine psychologue, elle fit néanmoins tout son possible pour ménager son
soupe-au-lait de mari : « Je ne vais pas te le cacher, mon chéri, mais
j’ai tiqué sur un ou deux points… Primo, le bruit et l’odeur. Personnellement,
et là je parle en tant que femme, j’aurais honte de monter dans un véhicule
pourvoyeur de prouts et distillant une odeur d’égoûts. »
Son époux prit étonnamment bien
la chose : « Honte, honte ! singea-t-il. Il faut
toujours que tu exagères ! Comparés aux fumées noires pestilentielles des
pots d’échappement actuels, les pets de mes Jaguar sentiront la
rose ! Le tout, ce sera de ne pas se trouver derrière une voiture lors d’un
démarrage en crotte, pardon, en côte. Quant à la prétendue gêne provoquée par
le bruit, eh bien moi je trouve ça plus rigolo que le tintamarre d’un scooter trafiqué ! »
Comme à son habitude, son mari
avait réponse à tout. Consciente de soulever un point sensible, Mme Léonard
aborda sa seconde réserve avec circonspection ; elle ne voulait surtout
pas que son époux prît cela pour une attaque personnelle. « Bien. Et
dis-moi, mon amour, je n’y connais rien, mais sur le plan de la sécurité, n’y-a-t-il
pas un risque de voir exploser les gaz flottant dans le réservoir ? »
Cette fois, M. Léonard réagit
nettement moins bien ; il semblait abasourdi par tant de crétinerie.
« Ahlala, tu oses m’attaquer sur la question de la sécurité, moi qui suis
si prudent ? Sache que c’est la première chose à laquelle j’aie
réfléchi ! Un permis spécial CacaMobile© sera
nécessaire, ainsi que de menus remaniements du code de la route : interdiction
de fumer au volant, interdiction de griller une allumette sous les fesses du
conducteur, même pour blaguer, interdiction formelle de jeter des mégots dans la
cuvette. Satisfaite ? » Il croisa les bras et toisa sa femme d’un air
de défi.
« Oui oui ! » se
hâta de répondre Mme Léonard. Elle hésita longuement avant de poser sa dernière
question, craignant que son tendre et cher n’entrât dans une colère noire.
Après une grande inspiration, elle se jeta à l’eau : « En toute franchise,
il y a un autre élément que j’ai du mal à saisir… Pourquoi, au lieu d’imaginer
un remplissage… disons individuel, ne pas construire des pompes à… enfin
à m… où chacun serait libre de se ravitailler indépendamment de l’état
de son transit ? »
M. Léonard faillit tomber de sa chaise
tant l’interrogation lui paraissait sotte. Farouchement opposé au capitalisme
sauvage, il lui tenait à cœur de fournir une source d’énergie gratuite à ses
semblables. Que l’on mît en place un système de distribution payante, et l’on
retombait dans le cercle vicieux de la libre concurrence… Il faudrait fixer le
prix du baril de caca ; selon les périodes de l’année, on connaîtrait des
flambées du cours du caca, et les plus gros producteurs de caca (les pays
riches, comme toujours) pourraient alors imposer leurs tarifs aux petits
artisans. Rien que d’y penser, cela lui échauffait la tripe ! Pas question
que le lobby de la crotte remplaçât celui du pétrole – pas question que l’or
marron chassât l’or noir… Car ce que M.
Léonard visait avant tout avec sa Caca-Mobile©, c’était un changement profond de paradigme. « Le
Cacapitalisme en
action ! », telle serait la devise de son projet.
Sa femme le prévint gentiment que
cette attitude bornée conduirait inévitablement à l’apparition d’un marché noir
– ou pour être exact : marron. En effet, en cas de panne sèche, il faudrait
malgré tout être en mesure de remplir son réservoir… Or les femmes dans sa
situation, c’est à dire constipées chroniques, c'est-à-dire toute la gent
féminine, auraient bien du mal à y parvenir sans un coup de main – façon de
parler. Tout particulièrement dans le stress du matin, au moment de partir au travail,
avec les enfants beuglant sur le siège arrière. Elle s’imaginait forçant
désespérément sur le trône côté conducteur, alors que l’heure défilait
inexorablement…
« Fais donc un peu fonctionner
ta cervelle ! la coupa M. Léonard. Au lieu d’aggraver tes hémorroïdes, tu pourras
utiliser les laxatifs du kit de secours, ou bien demander l’aide d’un sympathique
voisin. » Le vieux M. Patapon, incontinent anal notoire, deviendrait sans
doute très populaire dans le quartier. Encore un moyen simple de renforcer les
rapports humains !
Après tout, réalisa soudain M.
Léonard, la Caca-Mobile© pourrait
même totalement remplacer les toilettes traditionnelles, il suffirait
pour cela de positionner intelligemment le garage au sein de la maison. Tout le
monde irait y faire ses besoins au cours de la journée, et adieu les pannes
sèches ! Une Jaguar, c’était tout de même plus attrayant qu’une cabane
au fond du jardin ; en plus, on pouvait y écouter la radio ou parler à la
CiBi en faisant sa petite affaire. Mieux encore : à la place des
abominations olfactives qu’étaient les toilettes publiques, on pourrait mettre
en place des bornes Caca-Libre© où
des Caca-Mobiles© en libre service seraient
disponibles pour tout un chacun ; l’autonomie des véhicules serait assurée par
les citoyens eux-mêmes, chacun contribuant à remplir le réservoir dans un bel
élan de civisme et de solidarité. M. Léonard imaginait déjà la réclame :
un enfant souriant devant une borne Caca-Libre©,
affirmant fièrement face caméra : « Tous les matins, je fais mon devoir
citoyen. » L’avenir s’annonçait radieux !
Mme Léonard avait cependant encore
bien d’autres objections, notamment une invraisemblable histoire de chiens
errants attirés par les odeurs de crottes, qui selon elle soulèverait rapidement
un véritable problème de santé publique, mais son mari ne voulut pas les
entendre. Son invention était visiblement trop révolutionnaire pour l’esprit féminin.
Au diable les débats stériles, l’heure
était enfin venue de donner vie à son invention ! M. Léonard ne possédant
pas de voiture – l’inspecteur du code de la route avait une dent contre lui –, il
envoya les plans détaillés de son chef-d’œuvre au service « Conception »
de Jaguar et attendit fébrilement une réponse… Qui ne vint jamais.
La frustration fut immense. M.
Léonard aurait volontiers construit lui-même un prototype, afin de prouver ses
théories, mais il avait déjà du mal à assembler les maquettes de sa fille… Et à
dire vrai, il craignait désormais pour sa vie. Tant de ses lettres étaient
tombées aux mains de la C.I.A… Celle-ci savait désormais tout de ses plans secrets et ne tarderait sans doute pas à les
vendre à la concurrence ! Prochainement, une Jaguar version Caca-Mobile© sortirait, et tout le monde
crierait au génie devant l’ingéniosité et la pureté de son moteur à caca. Son invention ferait sans nul doute le tour du
monde, équipant tour à tour bateaux, avions et fusées, tandis que son nom marinerait
dans les cloaques de l’anonymat. Bien que cela lui brisât le cœur, M. Léonard
devait s’avouer vaincu.
Perdre une bataille, pour autant, ce n’était pas perdre la
guerre. Après tout, qu’importaient la célébrité, l’argent et la gloire ? Vanités
que cela… En vérité, seul comptait le génie pur et désintéressé de l’esprit
créateur ! Ragaillardi, le joyeux inventeur s’enferma à nouveau dans ses
cabinets et se remit au travail. Sa prochaine invention, il la produirait
lui-même, à partir de son propre véhicule. Et cette fois-ci, la gent féminine
ne serait pas en reste… D’ici la fin de l’année, la mobylette roulant au pipi
inonderait le marché !
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