Comment le dire de manière claire et sans ambiguïtés ? Le
jour où je reçus le SMS d'Anna dont le contenu – 3 petits mots et votre vie
s'écroule – disait sans ambages : « je te quitte », je touchai le fond.
Désemparé, d’autant que je ne pouvais la joindre – j’ignorais où elle était et
quand je l’appelais, je tombais inexorablement sur sa messagerie – je finis par
sombrer sous l'effet de l’alcool dans une sorte d’état second. Allongé en slip
sur le canapé couleur aubergine – elle adorait cette couleur, je la détestais,
déjà un signe, non ? – mon esprit se mit à divaguer. Oh, rien
d’exceptionnel. Des fragments de moments heureux, des éclairs de colère, des
images d'étreintes passionnées. Mais, au bout d'un moment, le whisky fit son
effet et je fus absorbé par un grand trou noir sans rêves. Jusqu’à ce qu’un
bruit difficile à identifier – surtout avec la tête en compote – m’en sortit.
Tout d’abord je mis cela sur le compte d’une fuite. Habitant sous les toits
dans un appartement mansardé, il s’était déjà produit ce genre d’incident. Mais
plus j’émergeais – putain de cervelle, on aimerait tant parfois ne pas avoir à
penser –, plus l’origine du bruit semblait indistincte et curieuse de ce fait.
Péniblement, sur un rythme d’escargot ayant abusé de son bon vin de Bourgogne,
je fis le tour de l’appartement. Soit un salon, une cuisine, une chambre et une
salle de bain. Rapide quoi malgré ma lenteur. Mais rien à faire. Le bruit
allait même en s’intensifiant et ce, sans cause visible. J’ouvris les Velux, me
trempai la gueule sous la pluie battante – rien à fiche de toute façon – mais
hormis deux trois pigeons qui ratèrent leur cible – soit ma tête – en déféquant, je ne vis rien d'inhabituel. De retour allongé sur le canapé. Toujours cette
couleur à gerber. D’ailleurs je gerbai. Le carrelage gris prit une teinte
orange. A nouveau le trou noir. Trente minutes plus tard, le crâne en feu,
j’ouvrais avec quelques difficultés un œil. Le bruit était toujours là. De
nouveau le tour de l’appartement. De nouveau les pigeons. Rien d’inhabituel.
Bref, excepté ce bruit, et mon mal de crâne, ah et la dépression qui semblait
me guetter, tout allait bien.
Dans la baignoire se tenait une
créature telle que je n’en avais jamais vue. Ayant fait le tour des pièces
quelque temps plus tôt, j’aurais dû l'apercevoir à ce moment-là. Mais je pense
qu’alors, sa taille fit que je ne la remarquai pas, probablement cachée au fond
de la baignoire. Cette bestiole, horreur, rejeton de l'enfer – cochez la bonne
case – devait faire la taille d'un labrador. De couleur verdâtre, sa tête ne
comportait en tout et pour tout qu’une énorme bouche sans dents. Pas d’œil, ni
d’oreilles. Encore moins d’appendice nasal. Cette tête de forme ovale
s'étendait d'un corps visqueux et luisant, dont quatre tentacules sortaient en
gigotant vivement, essayant de se fixer après les carrelages au mur. Le bruit
qui n’avait jamais cessé provenait de la bouche de cette créature. D’abord
choqué, secouant la tête devant une telle abomination, je sortis en titubant de
la pièce, claquant la porte derrière moi. Tremblant, la pisse dégoulinant le
long de ma jambe, je m’affaissai dos à la porte. Je n’avais plus rien à vomir
? Aucune importance, mon estomac ne
s’arrêta pas à ce genre de considération et inonda mes jambes de son contenu acide.
Je restai là un petit bout de temps, écoutant cette chose qui se contorsionnait
dans ma salle de bain. Putain, oui, dans ma salle de bain ! N'écoutant que
mon courage – pourtant pas habituellement grand – je me relevai et je décidai
de me saisir de ce qu’il me semblait le plus approprié dans cette situation. Je
ne me voyais pas appeler qui que ce soit – Allô ? Oui, j’écoute. Oui bonjour
j’ai un monstre dans ma salle de bains, pouvez-vous m'envoyer les Men in Black ? – et c’est armé d'un
énorme couteau que j’ouvris la porte. Bien que perturbé par la vision de cette
créature, et me sentant sale et faible, je me ruai tant bien que mal vers la
baignoire et frappai de plusieurs coups la bête dont un liquide chaud et rouge
vif gicla violemment. Un hurlement déchira l’air. C’était un hurlement humain.
Il aurait dû provenir de ma gorge. Mais ce n’était pas moi. Non, c’était bien
le monstre dans la baignoire. Ne comprenant pas pourquoi ni comment cette chose
pouvait émettre un tel son, je reculai, le visage couvert de sang, lâchant le
couteau. Soudain, la pièce se mit à tournoyer. Une sensation de vertige me prit
et je dû m’agenouiller. L’éclairage vif de l’ampoule diminua puis reprit son
intensité initiale. Mais quelque chose dans la pièce avait changé. L’air était
plus lourd, humide. Des affaires traînaient par terre. Celles d'Anna. Ce qui ne
se pouvait pas car elle m’avait quittée. Pourtant je distinguais clairement sa
culotte noire avec un petit nœud rouge devant – j’adorais celle-là – et juste à
côté une jupe noire. Comment cela se pouvait-il ? Un sombre pressentiment
m’envahit. Je me redressai. Je n’entendais plus le bruit de succion. Pataugeant
dans le sang de la créature, je glissai et me retins au lavabo juste à temps
pour me rendre compte que de l'eau teintée de sang emplissait la baignoire.
Mais la chose n'était pas dans quelque liquide. L’espace d'un instant, je crus
la voir en surgir. Mais point de créature maintenant. L’horreur envahit tout
mon être. Son regard me fixait. Sa bouche semblait vouloir dire « pourquoi ?».
Ma bien-aimée, celle que je pensais pleurer. Celle dont le SMS me fit sombrer
dans la déprime quelques heures plus tôt flottait à la surface de son bain.
Soudain, tout me revint. La dispute partie d’une broutille – sa mère qui devait
venir manger je crois –, les mots durs échangés. Et Anna qui s’enferme dans la
salle de bain. Puis ma main qui attrape la bouteille dans le placard de la
cuisine. Puis. Puis... Là, il n’y eut aucun doute sur le hurlement qui déchira
l'air. J’en étais la source. Le sang d’Anna séchait sur moi. J’entrepris
minutieusement avec ma langue de m’en débarrasser, ne supportant pas ce
contact. Ce fut la dernière chose dont je me souvins. Puis, je me réveillai
dans une ambulance. La suite est connue de tous, mon histoire ayant entraîné de
nombreuses adaptations au cinéma et même en pièce de théâtre. Pas terrible
d’ailleurs à ce que j'en ai lu.
Et aujourd'hui encore, alors que
cela remonte à plus de quinze ans, j’entends toutes les nuits ce bruit de
succion du fond de ma chambre capitonnée, et ce bruit me murmure sans cesse «
je te quitte ».
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